Festivals

L’inaccessible étoile

A l’inverse d’Aïda, qui est un opéra avant tout intimiste, Turandot propose un grand nombre de scènes monumentales semblant avoir été écrites pour le cadre gigantesque du Théâtre antique d’Orange. Et c’est tout naturellement qu’il s’y déploie, surtout mis entre les mains d’un expert es Chorégies : Charles Roubaud.

Le metteur en scène, assisté de Dominique Lebourges (scénographie), Katia Duflot (costumes), Avi-Yona Bueno (éclairages) et Marie-Jeanne Gauthé (vidéo), maîtrise, tout comme Nadine Duffaut, l’art d’intégrer le Mur dans ses réalisations. Immenses mouvements de foule et scènes plus intimes, je pense à celle des Ministres, ici somptueusement agencée, se côtoient avec le même bonheur, la même virtuosité. Mais Charles Roubaud ne s’arrête pas là. Il donne un sens à chaque geste et nous gratifie de quelques trouvailles bien senties et originales, je n’en veux pour preuve que cette bulle d’acier protectrice dans laquelle apparaît la Princesse, de même que l’option costume sobre pour cette dernière dont l’objectif est  de ne pas attirer la convoitise masculine. De même, pendant le chœur précédant le trop fameux « Nessun dorma », la traque effrénée des gardes impériaux à la recherche d’informations est bien vue. En somme, une vraie réussite.

Vue d’ensemble de la production © Bruno Abadie et Cyril Reveret

Chantera, chantera pas ?

Inutile de tourner autour du pot, tout le monde sait à présent que la première de ce spectacle n’a pas recueilli un assentiment général,  problèmes d’orchestre et de ténor sont venus la contrarier. Autant le dire d’emblée, le métier de tout un chacun a porté cette seconde représentation vers un succès populaire indescriptible, contraignant, si l’on peut dire, Michel Plasson à trisser le chœur final ! Pour le plus grand bonheur des quelques 8000 spectateurs présents.

Malade, Roberto Alagna avait eu de graves soucis vocaux, nous dit-on, en ce 28 juillet de première. A tel point que sa participation était compromise pour la suite. Fort heureusement rétabli, il remet Calaf sur le tapis, attendu comme le Messie par la cohorte de ses fans. Le résultat laisse sur sa faim. A l’évidence, le rôle ne lui convient pas. Une orchestration trop riche et soutenue noie son bel organe de ténor lyrique dans des flots destinés à des voix plus puissantes. Le problème n’est pas ici celui d’un ambitus dévastateur, Calaf est à l’abri de cela, mais plutôt celui d’une projection inadaptée. Dommage car le chanteur est toujours aussi élégant dans son phrasé et totalement magnétique scéniquement. A ses côtés, Raymond Duffaut faisait débuter en France, dans le rôle de l’inaccessible étoile, la soprano américaine Lise Lindstrom. Sa voix est, pour le moins, impressionnante, surtout dans un registre supérieur émis comme un rayon laser que rien ne peut arrêter.

Scène des énigmes : au premier

plan Lise Lindstrom (Turandot) et

Roberto Alagna (Calaf)

© Bruno Abadie – Cyril Reveret

L’artiste est également musicienne et sait calmer les éruptions vocales de la Princesse grâce à de superbes piani. Même si le bas medium et le grave se font entendre avec moins d’autorité, son portrait vocal de Turandot est assurément l’un des plus convaincants que se puissent entendre aujourd’hui. Maria Luigia Borsi est une Liù de grande tradition trouvant le meilleur de son interprétation dans de superbes sons filés. Soulignons également la confirmation, depuis son Colline de La Bohème in loco, des immenses qualités de la basse italienne Marco Spotti, Timour impérial de creux, de projection et de legato. Les trois ministres ne firent qu’une savoureuse et musicale bouchée de leur grande et inénarrable scène : Marc Barrard (Ping), Jean-François Borras (Pang) et Florian Laconi (Pong). Saluons enfin le Mandarin plein d’autorité de Luc Bertin-Hugault et l’Altoum de cette légende de l’art lyrique du 20ème siècle : Chris Merritt.

Michel Plasson conduit au triomphe

Le chœur des régions (Avignon, Nice, Toulon, Tours) et l’Orchestre national de France étaient placés sous la baguette de Michel Plasson, un autre habitué des lieux. Il fallait bien une pareille expérience pour canaliser les quelques 300 artistes présents dans la fosse et sur le plateau. Et tout cela avec un art suprême du phrasé puccinien et  une maîtrise totale des couleurs et des nuances, insufflant au passage des impressions très « debussystes » à une partition qui compte parmi les plus sublimes de l’histoire de l’opéra. Quel métier !

Partager