Dans le cadre de la saison de musique d’aujourd’hui, Présences Vocales, organisé par le collectif éOle, Odyssud, le Théâtre du Capitole et le Théâtre Garonne, mais aussi de ses propres Rencontres des Musiques Baroques et Anciennes, Odyssud accueillait le 23 mai dernier le prestigieux ensemble vocal The Theatre of Voices, dans un programme entièrement consacré au compositeur estonien Arvo Pärt. La grande salle de la scène blagnacaise a vécu ce soir-là une expérience particulière qui a plongé le public, aussi nombreux qu’enthousiaste, dans un état proche d’une hypnose bienfaisante.
L’appartenance de ce spectacle aux deux entités musicales aux domaines apparemment opposés que sont les Présences Vocales et les Rencontres des Musiques Baroques et Anciennes est loin d’être fortuite. En effet la musique d’Arvo Pärts semble suivre l’exhortation de Giuseppe Verdi « Revenons à l’ancien, et ce sera un progrès » ! Créateur d’une musique épurée, d’inspiration profondément religieuse, Arvo Pärt compose des œuvres inspirées par le chant grégorien et la polyphonie ancienne. Sa trajectoire n’a pourtant pas été linéaire. Après avoir adopté un temps l’esthétique du sérialisme et du collage, Pärt s’est arrêté de composer pendant plusieurs années afin de se consacrer à l’étude de la musique chorale française et franco-flamande des XIVème, XVème et XVIème siècles. A partir de 1976, il adopte une nouvelle démarche tournée vers l’intemporalité, son écriture devient en quelque sorte postmoderne et minimaliste. Arvo Pärt appelle son nouveau style tintinnabuli (« petites cloches » en latin). Dans les années 80 il s’installe à Vienne où il prend la nationalité autrichienne avant de se fixer à Berlin-ouest. A partir de cette période Arvo Pärt privilégie les œuvres religieuses vocales et met en musique des liturgies en allemand, anglais, russe et latin.
L’ensemble vocal The Theatre of Voices, dirigé par Paul Hillier (à gauche),
sur la scène d’Odyssud
– Photo Classictoulouse –
L’ensemble invité par Odyssud, The Theatre of Voices, dirigé par Paul Hillier, possède des liens étroits avec le compositeur, liens qui lui permettent d’être considéré comme une référence en ce qui concerne l’interprétation de la musique de Pärt. En 2015, ses chanteurs ont célébré à Tallinn, la capitale de l’Estonie, le 80ème anniversaire du compositeur. Cet ensemble étonnant de huit chanteurs a cappella donne une image de ce que pourrait être la perfection. Paul Hillier réunit là des individualités musicales exceptionnelles : les sopranos Else Torp et Kate Macoboy, la mezzo-soprano Signe Asmussen, le contre-ténor Mark Chambers, les ténors Christopher Watson et Julian Podger, les basses Jeffrey Ledwidge et William Gaunt, qu’il faut saluer bien bas. D’origines différentes, ces huit chanteurs-musiciens constituent une entité d’une cohésion, d’une précision, d’une justesse, d’une richesse expressive qui laissent pantois !
Le titre de leur programme toulousain, Arvo Pärt : 80 by 8, se réfère à l’âge du compositeur et à l’effectif de leur ensemble. Mystique et profondément religieuse la première partie de la soirée réunit des pièces courtes dont les dates de composition s’étalent de 1963 à 2012. Il y règne une atmosphère à la fois sereine et hypnotique. L’Alleluja Tropus, qui ouvre le concert, établit en quelque sorte les règles. A une austérité rythmique implacable correspond une richesse harmonique d’apparence simple, et néanmoins truffée de subtiles dissonances, de modulations inattendues qui irriguent le déroulement de chaque pièce. Après l’onirisme de Morning Star, les interprètes dévoilent l’étrange Virgencita (Petite Vierge, en espagnol), prière ardente à la Vierge de Notre-Dame de Guadalupe, au Mexique. La langue allemande a également droit de cité. Après le très court « lied » sacré Drei Hirtenkinder aus Fátima (Trois enfants de berger de Fatima), les Seven Magnificat Antiphons, datant de 1988, développent un langage qui s’étend du murmure au cri de ferveur.
La seconde partie du concert réunit deux œuvres nettement plus développées se réclamant successivement des rites catholique et orthodoxe. La Missa Syllabica (1977) déploie tous les épisodes de la liturgie catholique avec une retenue particulière. A l’éclat du Sanctus s’oppose l’émotion de l’Agnus Dei.
Après la tendresse de l’intermède touchant, d’après la Bible, I am the true vine (Je suis la vraie vigne), le concert s’achève sur l’une des œuvres les plus profondément mystiques d’Arvo Pärt, le Kanon Pokajanen, une suite d’épisodes de la liturgie orthodoxe chantée en russe. Paul Hillier et ses chanteurs choisissent d’en extraire une sélection composée de Kontakion & Ikos, Ode IX et Prayer. Basée sur le sentiment de la repentance, cette succession impose une atmosphère rituelle et hypnotique qu’elle maintient avec ferveur.
Fasciné par cette démonstration autant musicale que spirituelle, le public fait un véritable et légitime triomphe aux chanteurs et à leur directeur.