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Les splendeurs de Schütz

Si certains doutaient de l’importance et de la grandeur d’un compositeur réputé austère comme Heinrich Schütz, le concert du 15 octobre dernier, organisé dans le cadre du 14ème festival Toulouse les Orgues, offrait tous les arguments en sa faveur. Ce soir-là, dans les vastes résonances de la cathédrale Saint-Etienne, les Sacqueboutiers présentaient un choix d’œuvres du grand « Sagittaire », ainsi surnommé par allusion à l’enseigne de l’auberge tenue par son père. Un choix en forme de coup de cœur.

Les Sacqueboutiers et les quatre chanteurs de la soirée Schütz. De gauche à droite :

Anne Magoüet, Bruno Boterf, Marc Pontus et Renaud Delaigue

Modulations inattendues, richesse harmonique et rythmique, inventions expressives confèrent à cette musique, pourtant sacrée, une sensualité étonnante. L’audace de certains frottements dissonants, vraisemblablement hérités de l’Italie, ancrée dans la rigueur d’écriture germanique marque chaque partition d’une dialectique qui alimente chez Schütz une exceptionnelle hauteur d’inspiration.

Outre l’oratorio avant la lettre des « Sept dernières paroles du Christ » qui concluait la soirée, le Cantique des cantiques et l’Evangile selon Saint-Matthieu fournissent l’essentiel des textes mis en musique et choisis pour figurer dans le programme toulousain des Sacqueboutiers. Panorama étonnant et riche de spiritualité d’une production qui reste, un siècle avant celle de J. S. Bach, comme l’emblème de ce que l’Allemagne a fourni de plus accompli au reste du monde de l’art.

Pour servir cette musique de l’âme, les Sacqueboutiers avaient réuni treize musiciens et chanteurs rompus à ce répertoire. Le groupe généreux des quatre sacqueboutes et des deux cornets à bouquins tisse un commentaire d’une finesse et d’une force expressive irrésistibles sur lequel les voix se détachent, avec lequel elles dialoguent en harmonie subtiles et poétiques. Précision, musicalité, virtuosité sans exhibitionnisme caractérisent une fois de plus l’art de ces musiciens.

Les Sacqueboutiers et les solistes lors des répétitions du concert sous la direction

de Jean-Pierre Canihac (à gauche)

Parmi les interprètes des huit pièces (dont certaines sont issues des « Symphoniae Sacrae ») qui précèdent les « Sept paroles », comment ne pas admirer la douceur de timbre et la musicalité du ténor Bruno Boterf dans le « Venite ad me », la sensibilité de l’alto Marc Pontus dans « Erbarm dich », la rondeur vocale, la conviction expressive de la soprano Anne Magoüet aux mille nuances, l’incroyable beauté de timbre de l’authentique basse profonde Renaud Delaigue, timbre d’une noirceur rarissime. Outre cette qualité purement sonore, Renaud Delaigue déploie dans ses interventions une éloquence et une subtilité impressionnantes. Son « Fili me Absalon » restera dans les mémoires pour l’émotion qu’il suscite. Bouleversant cri de douleur, chagrin du père meurtri par la mort du fils.

« Les Sept paroles du Christ sur la Croix » s’écoutent comme une anticipation de ce que seront, un siècle plus tard, les Passions de Bach. Récit tragique où se mêlent les plaintes du Fils, les commentaires des Evangélistes et le soutien instrumental qui brosse et ponctue le paysage spirituel dans lequel se déroule la tragédie. Les interprètes ont fait le choix d’illustrer le drame dans toute son intensité. Le commentaire instrumental, en particulier, accompagne le récit au plus près de l’expression, pliant la forme musicale et ses nuances au contenu du texte. La beauté formelle au service de l’émotion.

Une émotion que le public a sans nul doute éprouvée et qu’il traduit par la demande d’un bis accordé généreusement. Le « Veni dilecte mi » réunit pour conclure tous les participants de cette belle soirée musicale.

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