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Les Sacqueboutiers à Prades : le feu de Dieu !

Les musiciens de l'ensemble Les Sacqueboutiers et les chanteurs invités - Photo Classictoulouse -

Né au printemps 1950 afin de célébrer le bicentenaire de la mort de Johann Sebastian Bach, le Festival Pablo Casals de Prades reste sans doute l’un des plus anciens festivals du territoire français. Créé pour s’opposer au régime franquiste par l’humaniste catalan et artiste exceptionnel qui lui a donné son nom, cet événement annuel propose, à côté des grands chefs-d’œuvre de la musique de chambre, la découverte de répertoires moins connus, anciens, classiques ou contemporains. Il accueille chaque année des solistes mondialement réputés mais s’intéresse également à la recherche de nouveaux talents.

Pierre Bleuse, le nouveau directeur artistique du Festival de Prades présentant le concert
– Photo Classictoulouse –

Animé par l’envie d’insuffler à sa programmation un nouvel élan en lien avec les mutations du monde et la tendance actuelle à la transdisciplinarité des arts, le chef d’orchestre actif dans le monde et à Toulouse, Pierre Bleuse, reprend les rênes du Festival avec imagination et enthousiasme, succédant au clarinettiste Michel Lethiec qui le dirigeait jusqu’alors. Du 30 juillet au 13 août, l’édition 2021 a affiché un florilège impressionnant de musiciens et d’ensembles dans des répertoires originaux et diversifiés.

Le 10 août à 19 h 30, en l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers, présenté par Pierre Bleuse lui-même, est venu offrir un programme musical et vocal éblouissant intitulé « El Fuego » et consacré à la musique du XVI° siècle espagnol.

Comme l’explique en ouverture Jean-Pierre Canihac, co-directeur artistique de l’Ensemble, il s’agit là d’une brillante rétrospective des musiques du Siècle d’Or aux influences mêlées baptisées « ensaladas ». Ces « salades musicales », préparées par de grands compositeurs de l’époque, abordent des thèmes religieux ou profanes qui évoquent le plus souvent la lutte entre le Bien et le Mal, entre Lucifer et Dieu. Plusieurs langues sont convoquées dont l’espagnol, bien sûr, mais aussi le catalan et le portugais, ainsi que le latin. Précisons que Les Sacqueboutiers ont enregistré un album CD de ce même programme.

Ce soir-là, l’ensemble instrumental toulousain est composé de Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Philippe Canguilhem, chalemie, Laurent Le Chenadec, basson, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue, Jordi Gironès, guitare espagnole et Florent Tisseyre, percussions. Quatre chanteurs d’ascendance ibérique y sont associés : Quiteria Muñoz, soprano, David Sagastume, alto, Lluís Vilamajó, ténor et Javier Jimenéz-Cuevas, basse.

Les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers et les chanteurs invités

– Photo Classictoulouse –

C’est avec La Justa (La joute) de Mateo Flecha (1481-1553) que s’ouvre cette lutte haute en couleurs qui anime toute cette belle programmation. Dès les première mesures, l’admirable acoustique de l’église de Saint-Michel de Cuxa permet à cette riche polyphonie de s’épanouir librement. La fusion entre les voix et l’instrumentarium s’avère idéale. Comme dans la totalité des pièces choisies ici, l’éclatante diversité des rythmes, la mobilité dont les interprètes savent faire preuve confèrent une vitalité irrésistible à cette succession de pièces brillantes.

On connaît bien à Toulouse les qualités instrumentales et musicales des membres de l’Ensemble qui s’expriment ici sans contrainte mais avec une précision et une rigueur absolues. Les quatre chanteurs qui animent ces partitions cochent toutes les cases ! Beauté des timbres, pouvoir expressif, équilibre entre toutes les parties. La jeune soprano Quiteria Muñoz, rondeur vocale et belle dynamique, le timbre chaleureux de David Sagastume, contre-ténor alto, le relief et la projection dynamique du ténor Lluís Vilamajó s’équilibrent parfaitement avec la couleur sombre et le creux impressionnant de la belle voix de basse de Javier Jimenéz-Cuevas. L’intervention de ce dernier dans les imprécations de La Negrina, pastiche d’inspiration africaine, lui attire les bravos spontanés du public. Dans La Guerra, musiciens et chanteurs mêlent avec humour leurs onomatopées. La pièce finale, toujours signée de Mateo Flecha, El Fuego, qui donne son nom à ce programme, en caractérise parfaitement l’effervescence tonale et rythmique.

Les chanteurs invités. De gauche à droite : la soprano Quiteria Muñoz, le contre-ténor David Sagastume, le ténor Lluís Vilamajó et la basse Javier Jimenéz-Cuevas

– Photo Classictoulouse –

Quelques interventions aux effectifs plus réduits alternent avec ces pièces destinées à l’ensemble des artistes présents. Ainsi l’organiste Yasuko Uyama-Bouvard détaille avec art Differencia sobre el canto de Cavallero, de Antonio de Cabezón. De son côté, le guitariste Jordi Gironès développe la finesse d’une série de Variations sur le fameux thème incontournable de l’époque La Folia, bientôt rejoint par l’esprit astucieux et facétieux du percussionniste indispensable Florent Tisseyre.

De leur côté, les chanteurs expriment a cappella la beauté de leurs timbres mêlés dans deux villancicos de Juan Vásquez, Por vida de mis ojos et En la Fuente del Rosel, ainsi qu’un autre de Mateo Flecha, Teresica Hermana.

Enfin, les seuls musiciens de l’Ensemble se distinguent dans l’exécution impeccable du Tiento del 6° tono Sobre la Batalla de Morales, de Francisco Correa de Arauxo, et du Tiento de Batalla de 8° tono, de Sebastián Aguilera de Heredia.

Séparément et ensemble, tous les acteurs de cette soirée ont été chaleureusement applaudis par un public visiblement conquis par le répertoire et l’art de ses défenseurs pour l’aborder et le faire vivre.

Une nouvelle « ensalada » est venu répondre aux acclamations : il s’est agi de Dinbirindin, extrait de La bomba, de Mateo Flecha. Salade en guise de dessert !

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