Festivals

Les nouveaux talents

Trois concerts très différents illustrent la variété des talents invités à se produire lors de ce 29ème festival Piano aux Jacobins. La création mondiale de la pièce commandée à Philippe Fénelon constituait le point d’orgue de cette riche semaine.

Le 9 septembre, l’auditorium de Saint-Pierre-des-Cuisines accueillait le pianiste toulousain Bernard Arbus dans un répertoire original autour de la figure hors norme du moine compositeur Dom Clément Jacob, appelé avant sa prise de bure Max Jacob (l’autre Max Jacob !). Sa musique, d’une touchante innocence évoque vaguement un Gabriel Fauré qui aurait croisé les pas d’Erik Satie. En moins original, tout de même. Il manque seulement à ses pièces, toujours parfaitement écrites, les quelques aspérités qui accrocheraient et surprendraient l’auditeur. Bernard Arbus se montre scrupuleusement fidèle au compositeur, ajustant son jeu un peu lisse à la pureté de sa musique. Les Nocturnes nos 3 et 4, la Barcarolle n° 5 et les sonates n° 9 et 15 brossent un tableau révélateur de Dom Clément. Les pièces franchement ethniques du Russe Thomas de Hartmann, inspirées de l’ésotérisme de Georges Gurdjieff (« Musique des Sayyids et des derviches », « Chants et rythmes d’Asie »), partagent également ce programme avec les fameuses « Estaciones Porteñas » d’Astor Piazzolla. Une musique colorées et tanguissime prise très (trop ?) au sérieux par l’interprète.

Le pianiste Romain Descharmes et le compositeur Philippe Fénelon lors de la création de “Le calme des puissances” (Photo Patrick Riou)

Création et découverte
Le 10 septembre marquait le jour de la création de l’œuvre commandée par le festival au compositeur français Philippe Fénelon. Le titre un peu énigmatique de cette pièce consistante d’une vingtaine de minutes, « Le calme des puissances », recouvre un contenu musical d’un relief et d’un dramatisme impressionnants. Ponctuée d’explosions rutilantes, elle est jalonnée de plages d’extase et de vibrants silences d’une grande intensité. La recherche des contrastes semble obéir à une nécessité intérieure, à une urgence expressive. Le final qui coule lentement vers un silence émouvant justifie le titre de l’œuvre. Comme un éloge de la sérénité après une suite de déchaînements fulgurants. De la grande et belle musique !

Le jeune pianiste Romain Descharmes s’empare de cette partition qu’il fait immédiatement sienne avec une énergie parfaitement maîtrisée et une implication stupéfiante, comme si sa vie en dépendait. Sa réactivité sans faille et sans inertie fait merveille. Voici un artiste qui entre d’ores et déjà dans la cour des grands.

Le programme de son récital démontre d’ailleurs l’intelligence de son approche de la musique. En ouverture du concert, il plonge son auditoire comme hypnotisé dans le monde magique de Scriabine. Le « Poème satanique », suivi de la sonate n° 5, donne le ton. Accords comme suspendus dans le vide, successions d’harmonies instables et douloureuses. Romain Descharmes nous livre ce monde avec l’assurance d’un vétéran.

Dans les Klavierstücke op. 118 de Brahms, qu’il vient d’ailleurs d’enregistrer, sa sonorité se fait velours. Les éclats surgissent comme la crête écumante d’une houle profonde. Les accords apaisés, sublimes commentaires d’un au-delà de sérénité, trouvent le chemin du cœur, nouent la gorge d’émotion.

Enfin, avec la version pour piano de « La Valse », de Ravel, l’interprète exalte l’effervescence virtuose d’une orchestration présente en filigrane.

Pour calmer le jeu, il offre en bis la douceur de la 1ère Barcarolle de Fauré et la fantaisie digitale d’une pièce légère et mousseuse de Burgmüller. A coup sûr un talent à suivre.

Le jeune pianiste allemand

Herbert Schuch
 
Beethoven et Chopin
Le 11 septembre, le jeune pianiste allemand Herbert Schuch offrait au public un diptyque des deux plus grands compositeurs pianistes. Programme classique certes mais exigeant. Herbert Schuch possède à l’évidence une panoplie de qualités, un potentiel de moyens expressifs hors du commun. Il est capable de phrasés d’une douceur impalpable, manifeste un impressionnant pouvoir percussif, déploie une palette de couleurs d’une belle variété. L’originalité de son talent apparaît dès les Bagatelles de l’op. 126, de Beethoven qui ouvrent son récital.

Néanmoins il lui manque encore le sens de la grande ligne qui construit une œuvre. Son attrait de l’analyse morcelle un peu son exécution de la redoutable sonate « Appassionata » qui suit et qui sonne comme une succession de moments, certes bien caractérisés, mais parfois déconnectés par un excès de nuances.

Enfin, les quatre scherzos de Chopin, qui occupent toute la seconde partie, témoignent encore de l’énergie digitale de l’interprète, du brio de son jeu, sans pour autant se départir d’un bouillonnement un peu brouillon. Dans l’op. 54, en mi mineur, l’interprète trouve enfin la vision synthétique qui s’impose.

Le succès qu’il remporte l’amène à proposer une série de bis. Après deux courts extraits du Carnaval de Schumann, il n’hésite pas à éblouir dans l’une des pièces de piano les plus difficiles du répertoire, « Scarbo » extrait de « Gaspard de la Nuit » de Ravel. Chapeau l’artiste !

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