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Les Maîtres tagueurs

Les productions de l’opéra le plus « traditionnel » de Wagner, « Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg » n’ont, par le passé, que rarement défrayé la chronique. Le caractère « historique » de l’œuvre intimide probablement les metteurs-en-scène qui s’en tiennent le plus souvent à une illustration au premier degré, voire à une démarche de symbolisation de l’intrigue.

Acte III : Franz Hawlata (Sachs), Norbert Ernst (David), au cours d’une mystérieuse cérémonie © Bayreuther Festspiele GmbH : Enrico Nawrath

Reconnaissons à Katharina Wagner, arrière petite-fille du compositeur et fille de l’actuel directeur du festival de Bayreuth, le mérite d’avoir osé renouveler complètement le propos de son ancêtre. C’est elle qui est chargée, depuis 2007, de l’actuelle mise-en-scène de ces Maîtres sur la « colline verte » du festival.

Le renouvellement est de taille, puisque le fil directeur de cette « interprétation » de la dramaturgie de l’œuvre aboutit à une inversion des valeurs artistiques incarnées par les deux personnages masculins, Walther et Beckmesser. Dans l’œuvre originale, Walther représente l’art nouveau par rapport à l’académisme de Beckmesser. Eh bien, ici Walther, personnage initialement farfelu et incontrôlable, se laisse gagner par les sirènes de l’académisme, alors que Beckmesser se convertit à l’art nouveau. Un art nouveau qui se traduit bizarrement par le besoin frénétique de taguer de mystérieux caractères blancs tout ce qui, au cours des deux premiers actes, passe à la portée du pinceau de Walther : les murs, les tableaux, les instruments de musique, les monuments, jusqu’à la robe de cette pauvre Eva figée de stupeur. L’idée, a priori séduisante, d’assister à cette évolution croisée des deux personnages est malheureusement gâchée par… la musique, qui nous dit exactement le contraire de ce que l’on voit.

Alors le spectateur médusé assiste à une sorte de pochade mal ficelée où coexistent des intentions scéniquement mal réalisées et des épisodes carrément grotesques, comme cette danse des « vieux maîtres » (Beethoven, Wagner, Bach, mais aussi Goethe, Schiller, Dürer…), sorte de divertissement potache que n’oseraient pas les étudiants pour leur fête de fin d’année.

Malheureusement, l’exécution musicale ne permet pas de s’évader de cette vision iconoclaste. La direction pesante et peu précise du jeune chef berlinois Sebastian Weigle n’éclaire pas la démarche de la production et couvre souvent les voix des chanteurs (un fait rare à Bayreuth dont l’acoustique miraculeuse permet tout). D’une distribution en petite forme, il faut sauver les excellentes incarnations aussi bien vocales qu’expressives de Norbert Ernst, brillant David, et de Michael Volle, Beckmesser de grande classe. Alors qu’Eva est joliment chantée par Michaela Kaune et que Carola Guber incarne une convaincante Magdalene, Artur Korn est un Veit Pogner un peu pâle. Karl Florian Vogt, au physique avantageux et au timbre haut perché, possède davantage la voix de David que celle de Walther. Quant à Franz Hawlata, probablement malade, il termine le rôle de Sachs complètement aphone… Il faut dire que la mise-en-scène l’amène à fumer cigarette sur cigarette au cours de la représentation ! Est-ce bien raisonnable ?

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