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Les Fresques musicales de Fontainebleau : une belle réussite

Le lieu fascine le regard et l’esprit. “La vraie demeure des rois, la maison des siècles”, comme Napoléon qualifiait le château de Fontainebleau, possède maintenant sa résonance musicale. Le 29 août était organisée la première édition d’un festival ambitieux et original intitulé « Fresques musicales de Fontainebleau ». Tout au long de l’après-midi et de la soirée de ce samedi ensoleillé quatre concerts se sont succédé. Organisés sur des thèmes fortement liés à l’histoire du lieu, ces événements musicaux ont mobilisé quatre ensembles prestigieux, animés par certaines des figures les plus emblématiques de la musique Renaissance. Des fastes de la brillante Salle de Bal à l’intimité chaleureuse de la Chapelle de la Trinité, le château a ainsi accueilli les musiques les mieux adaptées au lieu et à son histoire.
Saluons tout d’abord la belle organisation de cet événement particulièrement riche. Outre les concerts à proprement parler, quelques manifestations supplémentaires, animations culturelles, visites guidées ainsi qu’une conférence complétaient ce beau panorama consacré, pour cette première édition, au règne de François 1er. Ce fil rouge a été choisi pour célébrer le cinquième centenaire de l’accession au trône de ce roi mécène et protecteur des arts qui a fortement marqué Fontainebleau. Chacun des quatre concerts qui se succèdent évoque un aspect particulier du souverain dont on découvre ainsi le portrait musical.

Soulignons enfin la qualité du programme imprimé mis à la disposition des visiteurs. Pour chaque concert, une note générale situe judicieusement l’aspect particulier de l’ensemble des pièces choisies. En outre l’intégrale des textes chantés et de leur traduction (si nécessaire) constitue un élément rare et pourtant essentiel de meilleure réception de ces pièces.

Ensemble La Main Harmonique, dirigé par Frédéric Bétous © Château de Fontainebleau

Le roi galant et le roi mécène – Rêver d’amour et d’Italie

C’est ce thème charmeur qui fédère le programme présenté, dans la somptueuse Salle de bal, par l’ensemble vocal La Main Harmonique, dirigé par Frédéric Bétous. Sept voix et un luth entonnent un florilège de madrigaux, de chansons et de mélodies amoureuses de la Renaissance en Italie et en France. La première partie se consacre à l’école italienne. Ponctuée par des pièces pout luth solo de Palestrina/Terzi, Willaert/de Rore ou da Milano, subtilement jouées par Florent Marie, les chanteurs de l’ensemble brossent un portrait coloré du souverain grâce à la plainte sacrée de Padre del ciel, à la riche et belle nostalgie de La vita fugge, ou encore aux étonnantes modulations expressives de Mia benigna fortuna, de Cipriano de Rore, mais aussi grâce à la ferveur amoureuse de Aspro core de Adrian Willaert.

La deuxième partie illustre la poésie et la musique françaises de cette même époque. De la douceur à la tragédie, le sentiment amoureux domine ici. L’exquis O doulce amor, de Claudin de Sermisy, l’émouvante évocation du deuil de Je suis déshéritée, de Pierre Cadéac, puis le désespoir de Finy le bien, de Pierre Sandrin, complètent cette évocation à laquelle le luth apporte un contrepoint habilement élaboré. Ainsi, la transcription pour cet instrument signée Alberto da Ripa du fameux motet Doulce mémoire, de Pierre Sandrin, ouvre ce volet italien que referme l’original chanté. Les sept chanteurs de l’ensemble marient admirablement leurs timbres tout en n’abandonnant rien de leur propre personnalité individuelle. Outre la participation active de Frédéric Bétous, directeur de l’ensemble et contre-ténor, on admire les belles contributions solistes de la soprano Nadia Lavoyer et du contre-ténor Yann Rolland. Les ténors Branislav Rakic et Olivier Rault, le baryton Guilhem Worms et la basse Marc Busnel complètent harmonieusement ce bel ensemble vocal.

Ensemble Clément Janequin (direction Dominique Visse) © Classictoulouse

Le roi conquérant – François Ier et Charles Quint

L’ensemble Clément Janequin, sous la direction avisée de Dominique Visse, occupe à son tour la Salle de bal. Les cinq voix réunies, si caractéristiques et d’une personnalité unique, reçoivent l’appoint important, à l’orgue et à l’épinette, de Yoann Moulin. Consacré aux chefs-d’œuvre profanes de la Renaissance française et espagnole, le programme des Janequin pétille d’esprit, de relief et d’ardeur. Reconnaissons que ces chanteurs, réunis depuis si longtemps, surprennent toujours par l’ampleur impressionnante de leur imagination, de leur engagement expressif, de la clarté de leur diction. Ils se sont faits champions des affects ! La première partie du concert, consacrée au répertoire espagnol, s’ouvre sur un coup de poing ! Le motet La guerra, de Mateo Flecha, constitue un terrain idéal pour la vitalité, l’esprit, l’humour déployés par les interprètes. Aux côtés du timbre percutant et riche, si personnel, de Dominique Visse, on admire ceux de ses complices. La projection impressionnante du ténor Martial Pauliat, apparemment nouveau venu au sein de l’ensemble, se marie à merveille à l’ampleur vocale et à l’ambitus sans limite du baryton Vincent Bouchot, à la richesse vocale, à l’élégance de l’autre baryton François Fauché, ainsi qu’au timbre unique de basse profonde de Renaud Delaigue, une rareté dans ce répertoire. Les contrastes expressifs confèrent un relief étonnant à ce beau programme. Ainsi, à la douceur élégiaque de Lágrimas de mi consuelo, de Juan Vásquez, succède la surprise explosive de La bomba de Mateo Flecha, comme un véritable mini-opéra de quelques minutes.

L’usage des onomatopées ne saurait trouver interprètes plus aguerris que les Janequin. Dans Le chant des oyseaulx, de Clément Janequin, cet art unique se manifeste avec un naturel exemplaire. L’humour s’y conjugue avec une musicalité sans défaut. Lui succède la profonde émotion de Mille regretz et de Allégez moy, du grand Josquin Desprez. Du même compositeur si prolifique, on reste confondu devant la poésie admirable de Nymphes des boys. Les interventions raffinées de l’épinette solo de Yoan Moulin s’écoutent comme un bel écho instrumental aux chansons. Antonio de Cabezón (Diferencias sobre el canto del caballero), et Pierre Attaingnant (Gaillarde en sol et Suite de branle en sol) complètent harmonieusement ce programme qui s’achève sur la fameuse évocation de La chasse, de Clément Janequin. Une sorte de signature de l’ensemble éponyme qui trouve là matière à toutes les aventures musicales. Jamais aboiements ne résonnent avec autant de réalisme musical !

Un bis inattendu et hors de l’époque complète ce programme. Il s’agit d’une chanson datant de la fin de la première guerre mondiale et évoquant les frustrations affectives des soldats des tranchées, privés de présence féminine… Un grand éclat de rire sur un sujet pourtant tragique. Tout l’art des Janequin !

Ensemble William Byrd (direction et orgue Graham O’Reilly) © Classictoulouse

Le roi chrétien – La Réforme musicale

C’est dans la belle chapelle de la Trinité que prend place l’ensemble William Byrd dirigé depuis l’orgue positif par Graham O’Reilly. Les six belles voix bien différentiées sont épisodiquement rejointes par la belle harpe ancienne de Nadja Breedijk. L’ensemble anglais présente là une belle palette d’œuvres sacrées de la Réforme calviniste et anglicane. Une musique qui allie austérité et ferveur. Tout au long de leur parcours, les artistes alternent les volets britannique et français. Ainsi sont évoquées les péripéties qui ont amené, en France l’émergence du protestantisme et en Angleterre, de la religion anglicane, promue par Henri VIII, en bute aux tracasseries papales en relation avec les démêlées conjugales que l’on sait… Notons la perfection de la diction française de tous les chanteurs du groupe qui adoptent par ailleurs la prononciation « ancienne reconstituée » des deux langues. Graham O’Reilly présente d’ailleurs avec esprit et un humour tout britannique les pièces ainsi rassemblées. Les plus célèbres compositeurs de ce XVIème siècle florissant, John Taverner et Thomas Tallis, ouvrent la séquence avec respectivement Mater Christi et le Te Deum « for meanes », deux œuvres d’une grandeur ascétique. En réponse, la harpe brode une sensible dentelle sur deux pièces françaises signées Pierre Attaingnant (D’amour je suis) et Claudin de Sermisy (Tant que vivray). Trois chants, en latin puis en français, d’un certain Jean Maillard (un nom si commun qu’il caractérise peut-être plusieurs compositeurs) alternent le désespoir et la joie (toute relative, imprégnée de rigueur calviniste) puis la supplication. Plaintes et louanges signées Claude Goudimel et Claude Le Jeune prolongent cette séquence des divers modes sacrés de s’adresser à Dieu. Après une nouvelle intervention recueillie de la harpe sur une mélodie de Josquin Desprez, les deux extraits des Octonaires de la vanité du monde, de Pascal de l’Estocart, donnent toute la mesure du rigorisme de la pratique religieuse réformée. En écho la harpe détaille une pièce légère attribuée au roi Henri VIII lui-même, Pastime with good company. Le programme revient à la littérature musicale anglaise avec Thomas Tallis et enfin William Byrd (respectivement O Lord, give thy holy spirit et Christ rising again).

Chaleureusement applaudis, les chanteurs reviennent avec un bis étonnant, basé sur une pièce de Thomas Morley, revue et corrigée par le grand Percy Grainger.

Les Sacqueboutiers et l’ensemble Clément Janequin © Château de Fontainebleau

Le roi chevalier – François Ier, roi chevalier

Toujours dans la chapelle de la Trinité,les chanteurs de l’ensemble Clément Janequin, rejoints par les musiciens de l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers, animent le concert de clôture du festival. Ils célèbrent avec panache le cycle des guerres d’Italie du roi François, de la victoire de Marignan (1515, comme tout le monde le sait !) à la défaite de Pavie (1524). On retrouve avec bonheur cette association des deux ensembles complices et complémentaires dont les talents conjugués font merveille. Les voix et les instruments rivalisent de virtuosité, de musicalité et de pouvoir expressif, dans un équilibre sonore parfait, chaque ligne restant parfaitement lisible dans une étonnante débauche polyphonique.

Le programme démarre sur une marche instrumentale martiale, Tambur, tambur, d’un compositeur anonyme. La magie solennelle de deux motets Christus vincit, de Mathieu Gascongne, et Domine salvum fac regem, de Jean Mouton, évoque avec ferveur le couronnement de François Ier. Et c’est enfin la pièce que tout le monde attend, la célèbre Bataille de Marignan du grand Clément Janequin. L’énergie, l’imagination, la musicalité déployées par les interprètes font de cette démonstration guerrière une sorte d’apothéose de l’art imitatif de la Renaissance. De la préparation de la bataille à la victoire finale, les événements se succèdent comme dans une bande dessinée sonore. Le motet de Jean Mouton, Exalta regina galliae, et l’Agnus Dei de sa Missa tu es Petrus qui suivent, célèbrent cette victoire avec éclat. La seconde pièce révèle un beau et paisible duo entre le ténor, Martial Pauliat, et la sacqueboute colorée de Daniel Lassalle.

La deuxième partie du concert débute par Carolus vincit, une étonnante et anonyme « Acclamation liturgique en l’honneur de Charles Quint ». Le vainqueur de Pavie se voit ensuite célébré avec solennité par le motet de Nicola Gombert, Felix Austriae domus. L’imploration Benedicat nos imperialis, prière à Dieu pour la protection de l’empereur, d’Antoine de Longueval, est suivie de l’impressionnant madrigal sur la bataille de Pavie, La battaglia taliana, du compositeur franco-flamand Matthias Werrecore. Cet équivalent de La Bataille de Marignan, de Janequin, emprunte les mêmes voies, les mêmes voix, pour exprimer l’héroïsme et l’ardeur de la confrontation.

Les deux pièces qui concluent ce parcours haut en couleurs prennent la forme de prières pour le retour du roi François Ier retenu prisonnier par Charles Quint. Claudin de Sermisy insuffle une certaine tendresse dans son Quousque non reverteris pax orba Gallis, alors que Clément Janequin anticipe avec ferveur le retour du roi avec son invocation, Chantons, sonnons trompetes.

En outre deux intermèdes instrumentaux, dévolus aux seuls Sacqueboutiers, illustrent les deux volets du programme. La Pavane et Gaillarde de la Guerre, de Claude Gervaise, et Pavane et Gaillarde de Pierre Attaingnant mettent en exergue les couleurs et la virtuosité des musiciens toulousains : Jean-Pierre Canihac, volubile et subtil cornet à bouquin, Philippe Canguilhem, chalemie et doulciane chaleureuses, Daniel Lassalle, sacqueboute, et Lucile Tessier, doulciane, assurant tous deux avec bonheur le registre basse. Le continuo est réalisé avec science par Yoann Moulin sur son orgue positif.

Enthousiaste, le public réclame un bis que chanteurs et musiciens accordent avec malice. Car le bis en question opère un saut de près de trois siècles. De 1515, on passe à 1815, de Marignan à… Waterloo. Alfred Roland, compositeur, poète, créateur du conservatoire de musique de Bagnères-de-Bigorre et de l’orphéon des Chanteurs montagnards a écrit une invraisemblable chanson, « Le cri du Bagnérais », pleine de désolation à la suite de la défaite napoléonienne. Le sérieux avec lequel les interprètes déclament cet impérissable « chef-d’œuvre » déclenche un fou-rire général !
La réussite indéniable de ces premières Fresques Musicales de Fontainebleau augure d’un bel avenir pour cette manifestation originale. Les prochaines éditions devraient s’intéresser à d’autres périodes de la riche histoire de ce lieu magique.

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