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L’émotion au bout des doigts

Il n’est nul besoin de présenter Geneviève Laurenceau aux Toulousains qui apprécient le rôle joué par la violoniste à la tête des pupitres de cordes de l’Orchestre du Capitole. Invitée à participer au festival Toulouse d’Eté, la jeune strasbourgeoise a choisi de demander à la fougueuse pianiste d’origine russe Elena Rozanova de partager le programme de ce beau concert du 19 juillet dernier, hébergé dans la salle capitulaire du cloître des Jacobins, décidemment vouée à la musique.
La chaleur nocturne de cette soirée n’a en rien émoussé l’ardeur des musiciennes, ni celle du public conquis par tant d’intensité expressive et de complicité musicale. Si Geneviève Laurenceau occupe avec le bonheur que l’on sait le poste envié de premier violon supersoliste de l’Orchestre national du Capitole, son implication comme soliste de concertos ou partenaire de musique de chambre en fait une musicienne accomplie dont les apparitions comme celle de ce 19 juillet confortent encore l’image. Sa partenaire de la soirée, Elena Rozanova, d’origine russe, possède déjà un palmarès enviable. Lauréate de la fondation Cziffra, la jeune pianiste a remporté de nombreuses récompenses dans de grandes compétitions internationales : Concours Long-Thibault à Paris, Takahiro Sonoda au Japon, Concours International de Musique de Chambre de Melbourne… Comme Geneviève Laurenceau, Elena Rozanova se consacre également à l’enseignement et s’investit beaucoup dans la musique de chambre.

Elena Rozanova et Geneviève Laurenceau pendant le concert du 19 juillet 2013

– Photo Classictoulouse –

Le programme du concert de Toulouse d’Eté en dit long sur la volonté d’ouverture des deux artistes. Trois pièces, dites de caractère, ponctuent deux grandes sonates d’une portée universelle. La sonate n° 2 du Roumain George Enescu (ou Enesco pour les Français), qui date de 1899, n’est que très rarement jouée. Et c’est grand dommage étant donné la beauté aussi bien formelle qu’expressive de cette vaste partition. Le premier volet de l’œuvre, Assez mouvementé, alterne les plages d’attente et d’explosion. Les musiciennes y déchaînent de véritables tempêtes. Alors que le mouvement central, Tranquillement, développe une douce mélodie nostalgique, parfois aux limites du silence, le final, Vif, éclabousse de lumière le dialogue animé entre le clavier et l’archet. Les deux musiciennes communient dans la même ferveur, investissent chaque détail d’une partition dont certaines modulations sonnent comme si elles émanaient d’un Fauré des Carpates !

C’est la sonate n° 1 en la majeur du véritable Gabriel Fauré (né à Pamiers comme on ne doit pas l’oublier) que les deux artistes abordent comme l’emblème d’une musique de chambre au parfum tellement français. On retrouve dans les quatre mouvements de ce chef-d’œuvre tout ce qui nourrit le style fauréen : l’élégance des formes, la saveur sucrée-salée des modulations étranges pour l’époque, la richesse d’un rythme toujours inventif. La beauté intrinsèque de sa sonorité, la variété des phrasés, la finesse des nuances, les choix judicieux de tempo, émanent de l’archet de Geneviève Laurenceau. Elle sait, comme d’instinct, conférer à cette musique raffinée une sorte de ferveur délicate. L’émotion naît tout simplement de ce charme qu’Elena Rozanova soutient de son toucher chaleureux.

Les deux artistes au salut final – Photo Classictoulouse –

George Gershwin et quelques unes des transcriptions pour violon et piano d’extraits de son opéra Porgy and Bess apportent un parfum jazzy réjouissant. C’est à Jascha Heifetz que l’on doit ces sortes de paraphrases dignes d’un Liszt du violon. De « Summertime » à « It ain’t necessarily so » en passant par « Bess, you is my women now », les interprètes confèrent à ces pièces virtuoses mais tellement savoureuses cette élégance canaille qui leur va si bien.

Le contraste est très fort avec le Kaddish de Maurice Ravel. Cette prière des morts sur un texte araméen est évidemment destinée à la voix. Sa transcription pour violon et piano, signé Lucien Garban, ami du compositeur, ne perd rien de son pouvoir hypnotique, de l’émotion qui en émane. Avec retenue et simplicité les deux musiciennes en distillent le bouleversant message.

La conclusion du programme reste dans le domaine de la musique française. Avec sa Danse macabre, Camille Saint-Saëns parodie musicalement les évocations médiévales des bacchanales funèbres. Sa transcription pour violon et piano conserve toute sa verve, toute son ironie. Des douze coups de minuit au chant du coq, le violon se charge de l’essentiel, même si le piano brode une atmosphère d’apocalypse au climax de la danse.

Deux bis n’arrivent que difficilement à calmer l’enthousiasme du public. La vigueur assumée de la célèbre Danse du sabre, d’Aram Khatchatourian, est suivie de la douce Sicilienne du Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré. Aimable transition nocturne…

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