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Le Quatuor Modigliani et Adam Laloum : tout Schumann !

Après la folle nuit des cordes du 13 juillet dernier et le beau récital de piano donné le 19 par Adam Laloum, Toulouse d’Eté reprend le choix de son directeur de présenter des intégrales musicales hors des sentiers battus. Le 20 juillet l’un des grands quatuors à cordes du moment, le Quatuor Modigliani, est rejoint par le jeune pianiste d’origine toulousaine, Adam Laloum, pour une exécution intégrale de la musique de chambre de Robert Schumann.
L’année 1842 voit en effet fleurir cinq chefs-d’œuvre d’une grande beauté musicale et expressive. Trois quatuors à cordes, dédiés à l’ami Felix Mendelssohn, et deux ensembles associant cordes et piano destinés à la chère épouse Clara, voient ainsi le jour dans un élan créateur irrésistible. Quelle belle idée que de réunir ce corpus dans la succession de deux concerts, l’un à 19 h, l’autre à 21 h 30, toujours dans ce même lieu magique, le cloître des Jacobins !

Les musiciens du Quatuor Modigliani. De gauche à droite : Philippe Bernhard et Loïc Rio, violons, Laurent Marfaing, alto, François Kieffer, violoncelle – Photo Classictoulouse –

Le Quatuor n° 1 en la mineur de cet opus 41, offert à Mendelssohn, ouvre le premier concert. On est immédiatement frappé par l’ensemble des qualités dont témoignent les jeunes musiciens du Quatuor Modigliani. Philippe Bernhard et Loïc Rio, premier et second violons aux caractéristiques admirablement complémentaires, Laurent Marfaing, altiste chaleureux, et François Kieffer, merveilleux violoncelliste, composent un ensemble dans lequel les individualités s’expriment tout en assurant une cohésion rythmique et expressive exemplaire. La richesse des couleurs naît d’une diversité qui n’affecte jamais l’unité organique du quatuor, ce sublime instrument à 16 cordes. En outre comment ne pas admirer l’énergie qui anime chaque action musicale vers le but commun : servir l’œuvre offerte.

Dès le premier volet particulièrement complexe de ce quatuor en la mineur, la plainte de l’Introduzione est suivie d’une fièvre particulièrement schumannienne. Les deux personnages symboliques invoqués par le compositeur, le bouillant Florestan et le poétique Eusebius se succèdent au premier plan. L’agitation du Scherzo, la rêverie d’une étrange intensité de l’Adagio trouvent leur conclusion dans l’héroïsme impressionnant du final Presto.

La même intensité expressive se manifeste dans les deux autres quatuors de cet opus 41, présentés en ouverture du second concert de la soirée. Dans le n° 2, en fa majeur, les interprètes soignent tout particulièrement la vitalité des accents qui ponctuent chaque phrase musicale. L’élégance de l’Allegro vivace est suivie de l’imagination qui domine dans l’Andante à variations. Quant au Scherzo, sa vivacité sans bornes prend des allures de jeu. Florestan revient au premier plan dans un final vertigineux et passionné.

Les musiciens en formation de quatuor avec piano. De gauche à droite: Loïc Rio, violon, Adam Laloum, piano, Laurent Marfaing, alto et François Kieffer, violoncelle

– Photo Classictoulouse –

Le troisième quatuor de l’opus 41, dans la tonalité solaire de la majeur, apporte la lumière. L’Andante espressivo initial associe clarté et volonté. Une inquiétude passionnée imprègne tout le deuxième volet dont les musiciens respectent avec ferveur le qualificatif Agitato, affecté par Schumann. Une certaine tension subsiste dans l’apaisement temporaire de l’Adagio molto, alors que le Finale s’apparente à une chevauchée haletante et joyeuse.

Adam Laloum rejoint les musiciens du Modigliani dès le premier concert pour l’exécution du Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle en mi bémol majeur. Le violon de Loïc Rio prend ici la direction des opérations. Dès le Sostenuto assai le dialogue s’établit sans hiatus entre le clavier et les cordes. Une fois encore, la passion mène le jeu. Une sorte de féérie lumineuse anime le Scherzo dans lequel le violoncelle et le piano semblent rivaliser dans une sorte de course poursuite. C’est un véritable chant d’amour qui nourrit tout l’Andante cantabile dans lequel le violoncelle tient un rôle essentiel. Chaque instrument à son tour vient exhaler ses sentiments comme dans un ensemble d’opéra. Le Finale : Vivace, porte bien son nom ! L’ardeur la plus juvénile en imprègne l’interprétation. Une explosion de joie, qui prend ici la forme d’une fugue, conclut cette partition en pleine lumière.

La formation en quintette avec piano – Photo Classictoulouse –

Le fameux Quintette pour piano et cordes, lui aussi en mi bémol majeur, conclut la soirée sur la partition la plus célèbre de ce programme. Cette toute première combinaison instrumentale, si elle n’a donc aucun antécédent, ouvrira la voie à d’autres partitions fameuses. Le piano, symbole de la bien-aimée Clara, occupe ici une place prépondérante. Il ne se tait que très rarement. L’Allegro brillante porte bien son titre. Les musiciens lui insufflent une joie, une effervescence irrésistibles. C’est la fête ! Le contraste n’en est que plus fort lorsque s’élève la marche funèbre du deuxième volet. L’angoisse, le chagrin s’expriment ici comme pour un hommage à Beethoven et à sa Symphonie Héroïque. La révolte se manifeste pourtant au cœur de ce mouvement d’une intensité expressive bouleversante. Nouveau contraste avec la joie tendre qu’apporte l’agitation du Scherzo : Molto vivace. Le Trio vient un temps interrompre cette joie sereine. L’apothéose que représente le Finale : Allegro ma non troppo, éclate comme un feu d’artifice. Fébrile et éclaté sur des tonalités éloignées, tout ce mouvement se conclut sur une fugue à laquelle le piano et les cordes, d’un même élan, confèrent l’effervescence d’une sonnerie de cloches. L’enthousiasme des interprètes offre à la partition toute sa légitimité de chef-d’œuvre absolu.

Les rappels enthousiastes du public sont tels que, malgré l’heure tardive et la durée exceptionnelle de la soirée musicale, les musiciens offrent un bis de choix : l’Andante, un poco adagio du Quintette pour piano et cordes du protégé de Robert et Clara Schumann, Johannes Brahms. Par cette œuvre à la genèse compliquée, rappelée avec humour par Philippe Bernhard, Brahms suivait la voie ouverte par Schumann. Quelle belle façon de conclure cette saga musicale !

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