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Le miracle des quatre Evangélistes

Ils sont jeunes, dynamiques, rigoureux et attentifs. Ces quatre musiciens mêlent leurs grands talents au sein d’un quatuor à cordes fondé en 2003 et baptisé « Modigliani ». Depuis leurs récents débuts ils ont raflés les prix internationaux les plus prestigieux et occupent une place de premier plan dans le monde exigeant des quatuors à cordes. En guise de coup de pouce, La Swiss Global Artistic Foundation vient de leur confier l’instrumentarium le plus prestigieux que puisse rêver un tel quatuor de musiciens : les quatre Evangélistes fabriqués en 1863 par le grand luthier Jean-Baptiste Vuillaume. Il s’agit là du seul exemplaire connu d’un groupe de quatre instruments élaborés à partir du bois d’un même arbre et destinés à être joués ensemble.

Les jeunes musiciens du quatuor “Modigliani” : de gauche à droite, Philippe Bernhard,

premier violon, Laurent Marfaing, alto, Loïc Rio, second violon, François Kieffer, violoncelle

(Photo Andrew French)

Saint-Jean est le premier violon, Saint-Marc le second, l’alto est Saint-Mathieu et Saint Luc le violoncelle. Réunis dans les bras des membres du quatuor « Modigliani », ces instruments résonnaient très opportunément pour la première fois dans le cloître des Jacobins, à l’invitation d’Alain Lacroix lors du concert du 17 juillet dernier de Toulouse d’Eté.

La beauté des premiers accords saisit l’auditeur. Sonorité de miel d’une étonnante homogénéité, richesse harmonique, luminosité chaleureuse d’un ensemble effectivement construit pour fonctionner en parfaite symbiose. Le second violon, en particulier, loin de sonner comme un clone du premier, occupe exactement la place intermédiaire entre ce premier violon et l’alto. Certes, placé entre des mains malhabiles cet instrumentarium resterait lettre morte. Il réclame et, heureusement pour nous, obtient l’intelligence, la sensibilité, la virtuosité de musiciens comme les « Modigliani ». Plus que jamais le quatuor à cordes devient ainsi un instrument unique à seize cordes manipulé par un artiste à huit bras.

L’éblouissante exécution du quatuor en sol op. 77 n° 1 de Haydn donne le ton. Précis, enthousiastes, les interprètes pratiquent un phrasé rebondissant, effervescent qui anime et relance sans cesse le discours. Ils respirent ensemble et avec la musique qu’ils nourrissent de leur inextinguible vitalité. Le final, pris dans un tempo vertigineux, presque suicidaire mais qu’ils assument crânement, jaillit comme une explosion de lumière.

L’unique et génial quatuor de Debussy bénéficie lui aussi de cette sonorité de rêve. La lecture en est charnue, vigoureuse, aussi éloignée d’une évanescence fin de siècle que d’une lecture objective. Les interprètes s’engagent à chaque instant dans un lyrisme intense auquel l’andantino confère la dimension d’une douce confidence.

Mendelssohn, avec son ultime quatuor op. 80, conclut le programme officiel du concert sur un véritable cri de révolte. Effondré par la mort de sa sœur vénérée Fanny, le compositeur y déverse sans retenue sa souffrance, sa rage même, devant la disparition de celle qui illuminait sa propre existence. Les « Modigliani » s’investissent totalement dans cette œuvre atypique et bouleversante. Des accents rageurs de l’allegro initial au paroxysme du désespoir délivré par le final, en passant par la mélancolie nostalgique de l’adagio, l’interprétation des jeunes musiciens touche par sa profonde sincérité.

Deux mouvements du quatuor « Le lever de soleil » de Haydn, joués en bis, concluent cette soirée d’hommage aux deux compositeurs dont on célèbre cette année le bicentenaire de la mort (pour Haydn) ou de la naissance (c’est le cas de Mendelssohn). Il faut absolument remercier chacun des membres du « Modigliani », Philippe Bernhard, premier violon, Loïc Rio, second violon, Laurent Marfaing, alto, François Kieffer, violoncelle. Une belle et longue carrière s’ouvre à eux.

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