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La Passion au c(h)œur

La 10ème édition du festival Passe ton Bach d’abord ! vient de s’achever sur une présentation exceptionnelle de la Passion selon Saint-Matthieu du compositeur le plus inspirant de toute l’Histoire de la musique. Johann Sebastian (pour reprendre la version originale de son prénom) a une fois encore animé le centre névralgique de la Ville rose selon la formule mise au point par Michel Brun et son Ensemble Baroque de Toulouse, toujours à l’initiative pour populariser un répertoire ouvert sur le monde. En ces temps troublés par les divisions, les violences et la barbarie, quel bonheur de vivre la ferveur d’un tel souffle rassembleur !

Du 2 au 4 juin, la transhumance des Toulousains et assimilés n’a pas manqué d’envahir pacifiquement les rues, les places, les cours, les salles les plus improbables ainsi que les lieux dédiés traditionnellement à la musique. Et ceci malgré les intempéries qui n’ont pas épargné ce beau week-end. Ce qui a fait dire à Michel Brun que le Bon Dieu n’a pas été aussi gentil qu’on aurait pu l’espérer pour celui qui l’a si génialement célébré. Surtout si l’on rappelle ce syllogisme du philosophe roumain Emil Cioran : « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu ».

La présentation de cette 10ème édition par Michel Brun dans la salle capituaire

du Cloître des Jacobins – Photo Classictoulouse –

L’effervescence tous azimuts

Comme à son habitude, Passe ton Bach d’abord ! proposait à des artistes des musiques actuelles de s’inspirer de Bach. Cette année, les voix et percussions du Kalakan Trio & Invités, était convié à côtoyer le Bach flamenco de Veronica Vallecillo et Raphaël Perraud, l’accordéon solo de Michel Macias, les quatre chanteuses des Divaskets (évoquant Bach to the future !), ou encore les trois lurons loufoques de Vent d’Haleine…

Passe ton Bach d’abord ! est également une occasion unique de redécouvrir les trésors architecturaux de la ville de Toulouse. Parmi la trentaine de lieux qui ouvraient leurs portes au public et à la musique pendant le week-end du Festival, certains l’ont fait de manière exceptionnelle, comme La Grand’Chambre de la Cour d’Appel, le Vieux-Temple, ou encore l’Hôtel-Dieu, en plus des lieux plus habituels que sont le Couvent des Jacobins, la Chapelle des Carmélites, l’Auditorium Saint -Pierre des Cuisines, la Halle aux Grains…

L’ensemble vocal In Nomine, dirigé par Didier Borzeix – Photo Classictoulouse –

Des formations émergeantes, passionnées par la musique ancienne et ses diverses déclinaisons ont également participé à cette célébration. Ainsi le jeune ensemble vocal In Nomine, sous la direction de Didier Borzeix avait choisi d’établir un parallèle passionnant entre Johann Sebastian Bach et son prédécesseur né exactement un siècle plus tôt, Heinrich Schütz. Après trois petites pièces jouées sur le très bel orgue baroque de l’église Saint-Pierre des Chartreux par Saori Sato, les chanteurs de ce groupe ont exploré les visions des deux compositeurs sur les mêmes liturgies sacrées. La soprano Magali Coulomb a ainsi joliment détaillé l’air « Ich folge dir » de Bach.

Dans une tout autre optique, les jeunes musiciens de la classe de tuba du Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, sous la direction de leur passionné professeur Sylvain Picard, n’ont pas manqué de célébrer le Cantor de Leipzig grâce à de judicieuses transcriptions pour leur instrument, transcriptions regroupées sous le titre facétieux “Tubach or not Tubach” ! Cette intervention particulièrement sympathique précédait de peu l’apothéose de tout ce festival, l’exécution fidèle de la stupéfiante Passion selon Saint-Matthieu dans cette Halle aux Grains chaleureuse et fraternelle.

“Tubach or not Tubach” par la classe de tuba du CRR de Toulouse dirigée

par Sylvain Picard – Photo Classictoulouse –

En prélude à ce concert ambitieux, Michel Brun avait organisé, au cours du week-end, sous le titre original “Fruits de la Passion”, trois ateliers de présentation de cette œuvre, ateliers destinées à éclairer l’écriture prodigieusement élaborée de cette sorte de « théâtre sacré ». En compagnie des « acteurs » de cette célébration, le chef a ainsi donné au public, sensibilisé par son incroyable talent pédagogique, des pistes de découverte qui renforcent la perception de ce chef-d’œuvre universel.

L’apothéose de l’émotion

Pour la clôture de cette 10ème édition du Festival, en fin d’après-midi d’un dimanche particulièrement bien rempli, l’Ensemble Baroque de Toulouse foule pour la première fois le plateau de la Halle aux Grains. Un plateau aménagé pour recevoir les deux orchestres et les trois chœurs que réclame l’exécution fidèle de cette Passion selon Saint-Matthieu. Les deux ensembles instrumentaux et les deux chœurs principaux (Chœur Baroque de Toulouse et Conférences vocales) se font face, renforçant ainsi le dialogue, voire la confrontation qui anime les protagonistes de cette épopée sacrée. Au centre, le chœur d’enfant (La Lauzeta) intervient stratégiquement au cours de la première partie de l’oratorio. Laetitia Toulouse dirige à la fois Conférences Vocales et La Lauzeta.

Le premier atelier “Fruits de la Passion” organisé par Michel Brun

– Photo Classictoulouse –

Cette histoire d’un homme (fût-il un Dieu) confronté à la souffrance, au doute, à la cruauté, dépasse le seul domaine de la religion. L’intensité émotionnelle qu’elle véhicule éprouve la sensibilité des croyants comme celle des non-croyants.

Remercions tout d’abord très chaleureusement les organisateurs de ce concert pour leur initiative consistant à réaliser un sur-titrage de toutes les paroles de l’Evangile déclamées par les chœurs et les solistes. Enfin éclate au grand jour le génie du compositeur à concevoir une musique qui colle organiquement à ce point au texte. Le spectateur-auditeur reçoit ainsi en plein visage, en plein cœur, le drame qui se joue. Souhaitons que cette pratique se répande pour toutes les œuvres « à texte ».

Saluons enfin la qualité musicale et vocale de cette exécution mémorable. Les musiciens puisent dans la pratique des instruments anciens à laquelle ils d’adonnent avec souplesse et exactitude le sens des phrasés, la beauté des sonorités, leur richesse harmonique. Les flûtes, si importantes ici, les hautbois et leurs cousins au timbre si savoureux, les hautbois da caccia, les bassons, se mêlent habilement aux cordes et au continuo dont le rôle lors des récitatifs reste stratégique. Les solos instrumentaux, notamment ceux des deux violons solos Marie Rouquié et Gabriel Grosbard, doivent également être salués.

Le dispositif global du double orchestre et du triple choeur, le tout dirigé par Michel Brun

– Photo Monique Boutolleau –

La combinaison des trois chœurs s’avère parfaite. La vitalité de leurs interventions en tant qu’acteurs de l’action conduit à des moments d’une force expressive qui donne le frisson. Je pense en particulier à ce cri déchirant, sauvage, qui exige la libération de Barrabas et la crucifixion du Christ. Un de ces moments qui marquent ! La ferveur des chorals, la grandeur du chœur des croyants complètent la palette, la diversité des pouvoirs expressifs dont ces voix réunies sont capables.

De toutes les interventions solistes de grande qualité se détache l’incarnation stupéfiante de l’Evangéliste telle que le ténor suisse Raphael Höhn la réalise. Son timbre angélique d’une parfaite pureté, proche de celui d’une voix de haute-contre, se plie à toutes les nuances, tous les sentiments exprimés par le texte sacré. La compassion, certes, mais également la colère, l’angoisse, la douleur, l’émotion surtout, tout cela transpire de chacun de ses récitatifs si magistralement prononcés, avec une diction qui permet de tout comprendre, de tout vivre en pleine communion.

Au centre le bouleversant Evangéliste de Raphael Höhn – Photo Monique Boutolleau –

A ses côtés, on admire également la noblesse de timbre, l’engagement, l’autorité du baryton Philippe Estèphe dans le difficile rôle de Jésus. Le ténor Guillaume François et la basse Matthieu Toulouse complètent avec talent la distribution masculine. Les voix très différenciées des deux protagonistes féminines, la soprano Clémence Garcia et l’alto Caroline Champy-Tursun, illuminent les récitatifs et les arias qui leur sont dévolus. Le duo qui les réunit à la fin de la première partie ainsi que la sublime aria d’alto « Erbarme dich » délivrée par la soliste à la limite de l’émotion dans les derniers instants de la Passion représentent autant de grands moments de la soirée.

Tout cela ne serait pas possible sans la coordination… « passionnée » du maître d’œuvre de l’événement, Michel Brun. Le chef de l’Ensemble Baroque s’investit corps et âme dans cette aventure hors norme, donne vie, rend sa logique, sa vérité pemière, son émotion surtout à ce qui pourrait paraître d’une complexité inextricable.

Le message est si bien passé auprès du public que toute la Halle aux Grains se lève pour acclamer cet événement et ses acteurs enthousiastes.

Passe ton Bach d’abord ! a maintenant une histoire. Vive la 11ème édition !

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