Festivals

La musique en son écrin

Fondée en 754 au pied de la Montagne Noire, l’abbaye bénédictine de Sorèze a traversé les siècles tout en conservant son charme, sa magie. Joliment restauré, l’ensemble architectural abrite de nos jours un pôle culturel actif et inventif. La musique y tient une place importante, accueillie qu’elle est dans des lieux chargés d’histoire et de beauté. Le festival Musique des Lumières, dont Joël Suhubiette est le directeur artistique depuis dix ans, attire tous les étés, dans ces murs séculaires, musiciens et mélomanes curieux pour des rencontres chaleureuses et originales. Le 11 juillet dernier, deux concerts passionnants ont attiré la foule des vacanciers venus de tous les horizons.
Mozart en dialogue
A 18 h 30, sous les voûtes de l’Abbatiale, habilement transformée en auditorium à la parfaite acoustique, deux musiciennes investies de leur mission présentent un programme d’œuvres rarement jouées, bien que leur auteur soit l’un des plus présents dans les salles de concert. Quelques-unes des « Sonates pour pianoforte avec accompagnement de violon » (la dénomination résume bien le contenu de ces partitions), de Mozart, sont présentées avec passion par Yasuko Uyama-Bouvard, organiste et claveciniste, ici au clavier de son somptueux pianoforte, et la violoniste Stéphanie Paulet en possession de son splendide violon historique. Les deux, copies conformes d’instruments à peu près contemporains des pièces jouées, dialoguent avec ferveur et volupté. Le pianoforte, acquis au bout d’années d’attente patiente par Yasuko Uyama-Bouvard, est une copie, signée Christopher Clarke, d’un instrument d’Anton Walter, celui-là même qui fournissait Mozart et Beethoven. Le violon de Stéphanie Paulet est une copie anonyme d’un instrument de l’école bavaroise de Mittenwald. Son archet est un Duchaine et date de 1780, l’époque exacte des pièces jouées.

Yasuko Uyama-Bouvard, pianoforte, et Stéphanie Paulet, violon

– Photo Classictoulouse –

Mais les instruments, si beaux soient-ils, ne sont que des… instruments au service d’une musique que les interprètes font vivre. C’est à quoi s’attachent les deux musiciennes qui abordent avec finesse les sonates conçues par Mozart pour son élève Josepha Auernhammer. De manière inhabituelle pour un auditeur d’aujourd’hui, la partie essentielle est ici tenue par le pianoforte. Dans le dialogue qui s’établit entre les deux instruments, le violon semble tenir le rôle du modérateur. Le concert s’ouvre sur la Sonate en sol majeur, composée en 1781 à Vienne par un Mozart enfin libéré de la tutelle du Prince-archevêque de Salzbourg, Colloredo. Cet équilibre s’y établit clairement, autant dans les couleurs que dans le jeu des questions-réponses. On admire en particulier l’agitation fébrile du deuxième mouvement et la science de la variation dont témoigne le final. La fluidité du jeu de la pianiste trouve une belle réponse dans les phrasés apaisés de la violoniste. Dans la Sonate en mi mineur qui suit, achevée à Paris en 1778, le drame qui se joue dans le premier volet trouve un écho touchant dans la nostalgie du deuxième. Quant à la Sonate en mi bémol majeur, datée de 1781, elle frappe par l’émouvante plainte qu’exhale le volet central. La légèreté, l’humour même, du final ponctué de clins d’œil, apportent ce sourire qui réconforte.

Avec la sublime Fantaisie pour piano en ré mineur, jouée en intermède, Yasuko Uyama-Bouvard illustre en quelque sorte la célèbre phrase du grand pianiste Artur Schnabel : « Les sonates de Mozart sont uniques ; elles sont trop faciles pour les enfants et trop difficiles pour les artistes. » L’interprète, qui transcende aisément ces difficultés, en avive les arêtes, s’investit totalement dans son déchirement, comme si sa vie en dépendait. Tragique dans le déroulement d’une sorte de récitatif agité, l’œuvre s’achève sur ce sourire à travers les larmes qui n’appartient qu’à Mozart. L’émotion à l’état pur !

Rappelées par le public, les deux musiciennes offrent ce qu’elles appellent « un tout petit bis ». Rien moins que le 1er mouvement de la Sonate n° 5 pour violon et piano (dans cet ordre cette fois !) dite « Le printemps ». Un cadeau substantiel !

Le chœur Archipels et l’Orchestre national du Capitole. Au premier plan,

de gauche à droite : Julia Wischniewski, soprano, Joël Suhubiette, chef d’orchestre et de chœur, Caroline Champi-Tursun, alto – Photo Classictoulouse –

Vous avez dit baroque…
Au coucher de soleil, la belle Cour des Rouges accueille le chœur Archipels, associé ici à l’Orchestre national du Capitole. Dans ce lieu empreint d’une belle lumière, la phalange toulousaine investit un répertoire baroque qui ne constitue pas vraiment son pain quotidien. Antonio Vivaldi est à l’honneur. Le prêtre roux de Venise, dont la gloire actuelle fait oublier sa fin misérable sur les trottoirs de Vienne, a laissé une somme incroyable de partitions devenues, au cours du XXème siècle, de véritables « tubes » classiques. Son Gloria et ses emblématiques Quatre Saisons sont inscrits au programme. Saluons l’indéniable réussite de l’orchestre et du chœur dans ce domaine défriché par quelques décennies de redécouverte du style baroque.

Le concert s’ouvre sur le plus célèbre des trois hymnes à la gloire de Dieu composés par Vivaldi, le Gloria RV 589. Joël Suhubiette dirige avec précision et souplesse les deux phalanges parfaitement intégrées à la ferveur de l’œuvre. Au cours de la progression des douze épisodes qui la composent, le chœur joue un rôle central, alternant éclat et prière. Les deux solistes, qui représentent ici la piété individuelle, font assaut de perfection vocale. La soprano Julia Wischniewski confirme si besoin était la beauté lumineuse de son timbre, son style irréprochable et surtout la suprême élégance de ses nuances, de son ardente projection vocale à l’émouvante subtilité de ses pianissimos. Le duo Domine Deus qui s’instaure entre la soprano et le hautbois solo au souffle inépuisable de Christian Fougeroux représente l’un des grands moments de la soirée. La voix d’alto, chaleureuse et souple, de Caroline Champi-Tursun réalise également de magnifiques interventions solistes. Son Domine Deus, Agnus Dei, soutenu par le chœur et le violoncelle solo de Vincent Pouchet est un autre sommet de cette interprétation.

L’Orchestre national du Capitole. Fabien Mastrantonio, direction et violon solo

– Photo Classictoulouse –

La seconde partie de la soirée est donc consacrée à la plus célèbre des œuvres de Vivaldi, peut-être même la plus célèbre de tout le répertoire classique, les fameuses Quatre Saisons. Ces concertos pour violon et cordes, abondamment pillés par la pub, ont connu et connaissent une multitude d’interprétations. Est-il encore possible de renouveler son approche ? Les cordes de l’Orchestre national du Capitole et leur leader de la soirée, Fabien Mastrantonio, chef d’attaque des seconds violons de la phalange toulousaine, prouvent que l’imagination permet cela. Evitant le piège du romantisme, les interprètes semblent revenir à l’origine illustrative de l’œuvre. Manifestement ces partitions évocatrices, descriptives même, les inspirent fortement. Le violon solo, virtuose et expressif, donne vie à chacune de ses interventions. Son jeu, comme improvisé, s’échappe habilement de la routine. Soutenu par un tissu musical discipliné et chaleureux, Fabien Mastrantonio caractérise chaque épisode avec vivacité, humour et finesse. De la grâce souriante du Printemps aux frissons congelés de l’Hiver, les paysages défilent dans un beau déploiement de couleurs. Le saisissant épisode de l’orage, dans l’Eté, explose d’énergie et de vigueur.

L’enthousiasme du public obtient d’ailleurs une nouvelle exécution de ce mouvement… foudroyant ! Un deuxième bis est finalement accordé pour conclure la soirée. Fabien Mastrantonio et ses musiciens jouent la transcription pour violon et cordes du « Ballet des ombres heureuses » extrait de l’opéra Orphée de Christoph Willibald Gluck. Un bel au revoir qui ramène la paix et la sérénité dans cette aimable Cour des Rouges à la subtile acoustique.

Le festival se poursuit dans la convivialité et le partage.

Partager