Les « Rencontres des musiques baroques et anciennes » organisées par Odyssud s’ouvraient ce 9 mai sur un spectacle hors norme, iconoclaste, créatif en diable. L’Ensemble Baroque de Toulouse, mené avec l’enthousiasme et la passion qu’on lui connaît par Michel Brun, a imaginé pour l’occasion un voyage musical éblouissant intitulé de manière énigmatique « Caravane Baroque », suscitant ainsi la curiosité du spectateur. Cette curiosité a été satisfaite au-delà des espérances. Rarement un spectacle a obtenu un tel succès, une telle adhésion de la part d’un public conquis dès les premières séquences de ce parcours délicieusement provocateur.
Le thème des « Rencontres » de cette saison étant « Voix d’hier, d’aujourd’hui et d’ailleurs », à l’effectif instrumental bien connu de l’Ensemble Baroque se joignent quatre chanteurs solistes sollicités au-delà de la simple démonstration vocale. L’idée directrice de cette création consiste à explorer les liens forts entre musique baroque savante et musique populaire. Cette « caravane » nous emporte alors dans un voyage prodigieux dans le temps et dans l’espace, franchissant allègrement les barrières, avec humour et finesse, tout en maintenant un haut niveau de musicalité.
L’Ensemble Baroque de Toulouse, dirigé par Michel Brun. Au premier plan, les quatre chanteurs solistes. De gauche à droite : Pierre-Yves Binard, baryton,
Pierre-Emmanuel Roubet, ténor, Catalina Skinner-Moreno, mezzo-soprano,
Eliette Parmentier, soprano – Photo Classictoulouse –
En outre, musiciens et chanteurs sont sollicités à exercer leurs talents dans des domaines inattendus ! Ainsi, Jodel Grasset, spécialiste apprécié du oud et du luth, s’investit dans la percussion et le magique psaltérion, qui plus est à deux archets. La violoniste Léonore Darnaud troque par moments son instrument pour les flûtes à bec. Guilhem Lacroux, spécialiste de l’archiluth, ne dédaigne pas de jouer de la guitare manouche, de la mandoline et même du banjo ! Les chanteurs ne sont pas en reste. Le baryton Pierre-Yves Binard manie avec dextérité de multiples percussions, alors que le ténor Pierre-Emmanuel Roubet joue, et avec quel talent, de l’accordéon où on ne l’attend pas toujours…
Toute cette effervescence illustre un parcours très intelligemment balisé qui serpente dans des contrées diverses. Les grands « standards » de la musique baroque se trouvent ainsi ponctués de détours surprenants mais jubilatoires vers le folk irlandais, le jazz, la chanson traditionnelle ou la musique des Balkans… Afin de lier tout cela de manière convaincante et poétique, il fallait le talent, l’imagination et le goût musical de Christophe Geiller, le premier violon de l’Ensemble, qui s’est chargé des transpositions, des adaptations et surtout peut-être des transitions au rôle stratégique.
La première des quatre parties du spectacle s’ouvre très sagement sur l’émouvante cantate de Dietrich Buxtehude, « Das neugebor’ne Kinderlein » (Le petit enfant nouveau-né). Aussi sérieusement retentissent les premiers accents de la fameuse Suite en si mineur de Johann Sebastian Bach, avec la flûte traversière de Michel Brun. Bourrée et Badinerie se mélangent un peu puis débouchent sur les voix délurées du style Swingle Singers pour dériver vers le monde manouche, avec le violon de Léonard Zanstra, et atterrir sur un duo improbable, mais tellement convaincant, entre la flûte baroque de Michel Brun et l’accordéon en folie de Pierre-Emmanuel Roubet !
Michel Brun, flûte, Pierre-Emmanuel Roubet, accordéon (et par ailleurs, ténor!)
– Photo Classictoulouse –
Le deuxième volet aborde le répertoire français avec des extraits judicieusement enchaînés des Indes Galantes et de Platée, de Jean-Philippe Rameau, d’Alcyone, de Marin Marais, le tout accommodé au « Vin clairet » du Tourdion traditionnel. De quoi faire tourner les têtes ! Le troisième épisode nous transporte au Royaume Uni. Chez Haendel tout d’abord avec une touchante aria, extraite de Giulio Cesare puis un extrait du Te Deum, admirablement chantés, successivement par la mezzo-soprano Catalina Skinner-Moreno et le baryton Pierre-Yves Binard. Après un détour iconoclaste vers un traditionnel irlandais, les chanteurs se retrouvent chez Henry Purcell et son King Arthur. Une géniale transition ouvre la voie vers l’Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi, en passant par le fameux « Air du froid » extrait de King Arthur. Le « pont » ainsi élaboré par Christophe Geiller révèle de frappantes similitudes sonores et musicales. Cette dernière étape du voyage investit les Saisons vivaldiennes ; toutes les saisons en même temps avec une sorte d’ensalada musicale (au sens espagnol du terme) qui superpose les thèmes des douze mouvements du « tube » de Vivaldi. Une succulente cacophonie ! L’accordéon refait surface dans un accompagnement « osé » du sublime madrigal de Monteverdi « Interrote speranze » suavement chanté par les deux voix masculines. Les belles voix de soprano d’Eliette Parmentier et de mezzo-soprano de Catalina Skinner-Moreno se retrouvent pour le fameux « Zefiro torna » du même Monteverdi. La dernière trouvaille musicale de Christophe Geiller consiste à donner de la voix dans le final de l’Eté de Vivaldi en utilisant astucieusement le sonnet écrit par le compositeur pour accompagner sa musique. Les quatre chanteurs s’y investissent avec ferveur.
La fête s’achève donc dans un tonnerre d’applaudissements qui oblige les interprètes à revisiter l’une des escales du voyage, en l’occurrence la Danse des Sauvages extraite des Indes Galantes de Rameau. Le bonheur !