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La légende du siècle

Chacune des apparitions de Menahem Pressler apporte avec elle un passé musical d’une incroyable richesse. Comme en 2012, le légendaire pianiste américain ouvrait, ce 3 septembre dernier, le 35ème Festival Piano Jacobins, dans ce cloître éponyme tout aussi mythique et marqué par l’Histoire. Un public visiblement conscient de l’importance de l’événement réservait d’ailleurs une ovation debout à ce jeune nonagénaire, comme toujours souriant et visiblement heureux de se retrouver dans ce lieu devenu familier.
A petits pas mesurés, celui qui demeura l’unique pianiste du Beaux-Arts Trio pendant plus de cinquante ans gagne le podium du cloître qu’il ne quittera pas avant la fin du concert qu’il choisit ainsi de donner sans entracte. De Mozart à Kurtág, le programme de son récital explore une fois de plus un domaine important de l’Histoire du clavier.

Menahem Presler lors de la séance de dédicace – Photo Classictoulouse –

On retrouve avec émotion ce toucher dense et doux à la fois, cette approche des grands chefs-d’œuvre faite de simplicité et de naturel. Dans le tendre et profond Rondo en la mineur de Mozart, le jeu du pianiste adopte le ton de la confidence. Comme le proclamait le grand Artur Schnabel, « Mozart est trop facile pour les enfants et trop difficile pour les adultes ». C’est avec une âme d’enfant que Menahem Pressler visite cette partition sublime pétrie d’innocence et de profondeur. Il en dévoile avec pudeur ce « sourire à travers les larmes » si souvent évoqué dans les pièces les plus intimes de Mozart.

Debussy ouvre un monde nouveau. Le pianiste choisit d’enchaîner les trois poétiques Estampes avec un toucher très particulier. Pas de flou artistique, mais une sonorité faite de chair et d’opulence. Pagodes s’écoule dans la fluidité et la couleur. Un déhanché bien ibérique imprègne La soirée dans Grenade dont le caractère nocturne est subtilement souligné. L’élément liquide, mouvant, évanescent se mêle à l’évocation enfantine de la chanson « Nous n’irons plus au bois… » dans un Jardin sous la pluie comme murmuré pour soi-même.

La deuxième partie du récital, directement enchaînée à la première, se consacre essentiellement à l’ultime et bouleversante Sonate en si bémol majeur D 960 de Franz Schubert. Cette partition, en forme de testament musical, représente un marathon pianistique d’une redoutable difficulté que l’interprète aborde avec détermination. Il choisit en outre de l’introduire par cet étrange Impromptu – al ongarese composé par le Hongrois György Kurtág, précisément à l’intention de Menahem Pressler. Cet enchaînement sans hiatus mène à ce premier volet monumental Molto moderato de la Sonate. Certes la précision du toucher se fait parfois hasardeuse, mais quelle importance lorsque la conviction du propos, les contrastes expressifs, cette alternance de révolte et de résignation émergent aussi intensément de ce mouvement clé. Malheureusement, les applaudissements intempestifs qui interrompent là le déroulement de l’œuvre déconcentrent et troublent visiblement l’interprète. L’Andante sostenuto qui suit en pâtit considérablement. Ce n’est que dans le Scherzo que le pianiste retrouve sa sérénité. Ses dernières forces sont alors lancées dans la course à l’abîme du final Allegro ma non troppo.

Infatigable pourtant, Menahem Pressler répond avec ce sourire touchant aux acclamations du public par le cadeau généreux de trois bis. A la poésie et au temps suspendu du fameux Clair de Lune de Debussy succèdent deux pièces emblématiques de Chopin, une Mazurka et le célébrissime 20ème Nocturne en ut dièse mineur. Le pianiste se prête ensuite volontiers à une séance de dédicace de son dernier enregistrement discographique. Oui vraiment infatigable…

A bientôt Mister Pressler !

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