Festivals

La folie des consoles et des tuyaux !

La 22ème édition du festival international Toulouse les Orgues vient de mobiliser l’ensemble du patrimoine organistique de Toulouse et de la région. Du 4 au 15 octobre les concerts de prestige ont alterné avec les manifestations les plus diverses, les plus originales, les plus inattendues. De nombreux artistes, venus de tous les horizons géographiques ou musicaux se sont succédés, animant ainsi une vingtaine de lieux emblématiques dans le seul but de célébrer l’instrument-roi, sa pratique et ses dérives.
Chaque jour a vu fleurir les associations musicales les plus étonnantes mariant l’orgue à une discipline voisine ou lointaine, à un ou plusieurs instruments plus ou moins proches, par l’esprit ou par la technique.
Duo orgue et cornet à bouquin
Parmi les petits concerts de midi, conçus pour révéler de jeunes talents, le duo orgue et cornet à bouquin du 10 octobre s’ouvre à la découverte d’un orgue peu connu, mais particulièrement séduisant, celui qu’héberge l’église Saint-François de Paule des Minimes. Sa rencontre avec le cornet à bouquin, autre instrument à tuyau, au singulier cette fois, permet en outre de retrouver à Toulouse une jeune musicienne, Sarah Dubus, diplômée de plusieurs établissements prestigieux et qui obtint en 2016 le Premier Prix de cornet du 2ème Concours international de Cuivres anciens organisé par l’ensemble toulousain Les Sacqueboutiers.

Sarah Dubus, cornet à bouquin, Jean-Luc Ho, à l’orgue de l’église Saint-François de Paule des Minimes
– Photo Classictoulouse –

Le grand orgue de cette église, construit en 1991 par Pierre Vialle, équipé d’impressionnants tuyaux en chamade et récemment relevé par Jean Daldosso, est tenu ce jour-là par le jeune Jean-Luc Ho, passionné de claviers anciens, friand de facture instrumentale et de duos complices.

Caprices et cornet, c’est le titre donné au programme de ces deux jeunes musiciens, révèle un répertoire original et riche d’œuvres, qualifiées d’extravagantes, du XVIIème siècle. De Jacob Clemens non Papa à Samuel Scheidt, en passant par Giovanni Pierluigi da Palestrina, Giovanni Battista Fontana, Tarquinio Merula ou le plus célèbre d’entre eux, Claudio Monteverdi, virtuosité, musicalité, sens du phrasé et de l’ornementation caractérisent les exécutions des deux jeunes interprètes. On est séduit en particulier par la richesse de l’ornementation imaginée par Sarah Dubus dans la Sonata quarta de Fontana. On l’est tout autant par la maîtrise de Jean-Luc Ho dans l’étrange pièce d’un chromatisme exacerbé de Merula. Quel bel apéritif pour un public charmé et chaleureux !
Max Reger et la déraison
Le 11 octobre, le jeune et brillant Jean-Baptiste Dupont, riche d’un large répertoire, investissait une certaine avant-garde du XXème siècle à la console du magnifique orgue Puget de l’église de la Dalbade. Le cœur de ce récital était dédié à un compositeur trop négligé du XXème siècle naissant, l’Allemand Max Reger. Jean-Baptiste Dupont se dévoue à sa cause en enregistrant l’intégrale de son œuvre pour orgue qui compte près de trente opus.

Jean-Baptiste Dupont à la tribune de l’orgue Puget de l’église de la Dalbade

– Photo Classictoulouse –

Il choisit ce soir-là d’interpréter son opus 73, Introduktion, Variationen und Fuge über eine originalthema, qui date de 1901-1903. Cette pièce monumentale, s’avère si complexe sur le plan harmonique que certains passages sonnent de manière atonale. Non seulement l’engagement fervent de l’interprète lui confère toute sa splendeur contrastée, mais ce grand orgue Puget aux sonorités si colorées, à l’extrême dynamique, aux jeux d’une richesse infinie constitue l’instrument idéal. La fugue finale de la pièce évoque irrésistiblement une implacable ascension vers la lumière.

Jean-Baptiste Dupont offre en ouverture une version comme recomposée de trois mouvements du ballet Petrouchka de Stravinski : Danse russe, Chez Petrouchka et La Semaine grasse. Eclatement des couleurs, dynamique extrême, cette nouvelle partition fourmille de détails pétillants. En complément, l’organiste délivre sa propre version, nostalgique et douloureuse, de la Passacaille du Trio pour piano, violon et violoncelle de Maurice Ravel. Sa structure en arche bénéficie des possibilités de crescendo-decrescendo de l’orgue et de l’habileté de son interprète.

Orgue et cinéma

La traditionnelle séance « grand écran » réunit chaque année un public nombreux et curieux. Cette 22ème édition ne fait pas exception. Le 13 octobre, la nef de la basilique Saint-Sernin fait le plein. Au programme, un film mythique, restauré à grand peine, du roi du burlesque des années du muet, L’Etroit Mousquetaire, du génial Max Linder, dont le titre original américain The Three Must-Get-Theres n’est pas en reste sur le titre français. Réalisée en partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse, cette séance exceptionnelle de projection est accompagnée, au superbe orgue Cavaillé-Coll tout juste « relevé », par la claviériste d’origine slovaque, Monica Melcova.

Max Linder dans son film “L’Etroit Mousquetaire” – Photo Classictoulouse –

Improvisant avec subtilité et imagination, sans pour autant tomber dans la redondance systématique, la musicienne apporte humour et tendresse au dernier film américain de celui qui n’hésite devant aucun anachronisme (téléphone, machine à écrire, automobile…), aucune parodie, aucun rebondissement. A sa parution, le succès fut tel que Max Linder reçut un télégramme de félicitation de celui qui incarna « sérieusement » D’Artagnan juste avant, Douglas Fairbanks. Quel plaisir que de s’abandonner aux aventures de ce « Lindertagnan » pris en tenaille entre le Roi « Loulou XIII » et le « Cardinal Pauvrelieu »… ! Et quel luxe que de baigner dans un accompagnement sonore d’une telle qualité !

L’orgue au cœur de l’orchestre
Le grand concert du 13 octobre, en partenariat avec l’Orchestre national du Capitole est chroniqué dans la rubrique « concerts ». Pour consulter ce compte-rendu, suivre ce lien.

Nuit de folie

Autre tradition bien établie, la dernière manifestation du festival prend l’allure d’un spectacle hors norme baptisé chaque année « Nuit de l’orgue ». Cette édition assortit ce titre d’un prolongement en situation : « Nuit des fous » ! Un système vidéo permet au public d’observer les événements qui se déroulent à la tribune et dans la console, événements d’ordinaire cachés. Ce 15 octobre, quelques ratés techniques retardent la mise en œuvre du système (la “folie” des organistes en serait-elle responsable, comme le suggère Yves Rechsteiner lui-même ?…). Néanmoins, pour ce dernier jour du festival, la nef de la basilique Saint-Sernin est pleine à craquer lorsque retentit un effrayant coup de tonnerre, sorte de vagissement monstrueux généré par les tuyaux du Cavaillé-Coll. Commence alors une succession de pièces musicales entrelardée de commentaires significatifs d’organistes diffusés depuis la tribune. On entend ainsi les voix de Michel Bouvard, Jean-Baptiste Dupont, Baptiste Genniaux, Frédéric Chapelet, Virgile Monin, Sylvie Pérez et Thierry Escaich, égrener des souvenirs, des anecdotes, des considérations sur la folie de l’orgue et les obsessions des organistes…

La soprano Nicole Fournié, soliste de la Cantate Rechtibulle & Mesmaeker

– Photo Classictoulouse –

Ces confidences alternent avec un florilège de pièces aussi diverses qu’imprévues, de l’onirisme éthéré de Jehan Alain (Le jardin suspendu joué par Yves Rechsteiner) jusqu’aux délires jazzistiques inspirés de Bach de Charles Balayer, en passant par les rêveries de Mike Oldfield (Tubular Bells) ou le grand crescendo improvisé par Jean-Baptiste Dupont. L’intervention la plus impressionnante est celle de ce même Jean-Baptiste Dupont qui délivre la folie orageuse de György Ligeti, Volumina, faite de gigantesques et terrifiants clusters.

Et puis un étonnant medley signé Jean-Claude Guidarini met l’imagination à rude épreuve sous la forme d’une invraisemblable cantate intitulée Rechtibulle & Mesmaeker ! S’ouvrant sur une impressionnante transcription de l’ouverture de Don Giovanni, de Mozart, la partition ainsi inventée visite notamment Franz Lehar (L’heure exquise), Serge Prokofiev (Roméo et Juliette), Jacques Offenbach (La Périchole)… jusqu’à Jacques Brel (Ne me quitte pas) ! La soprano Nicole Fournié déroule avec conviction et vaillance le récit de cette improbable histoire d’amour, tout en chantant avec ardeur, science et sensibilité une incroyable liste de mélodies adaptées à l’intrigue, mais que l’on reconnaît au passage. Une véritable performance qu’il faut saluer bien bas, performance brillamment accompagnée à l’orgue par l’auteur de cette ahurissante composition, Jean-Claude Guidarini.

La soirée et cette 22ème édition s’achève sur l’annonce, par Yves Rechsteiner, de la 23ème qui possède déjà un thème : L’orgue sacré, ou sacré orgue ! Voici qui promet….

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