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La belle Offrande musicale

La 12ème édition du festival Passe ton Bach d’abord ! vient de s’achever, ce dimanche 9 juin, sur un beau succès à l’issue d’un concert de clôture consacré à l’emblématique Messe en Si mineur. Créé, au printemps 2008 par Michel Brun et son Ensemble Baroque de Toulouse (EBT), ce long week-end annuel consacré à J. S. Bach rassemble les publics les plus divers autour de son œuvre et de ses nombreuses déclinaisons. Cette année encore, le succès fut au rendez-vous. Un succès toujours plus éclatant, puisque plus de 20 000 entrées ont été enregistrées.
L’édition 2019 relève un nouveau défi : permettre à chacun d’apprivoiser le mode de composition musicale le plus complexe qui soit, le contrepoint. Sous le titre de l’un des recueils les plus accomplis de l’œuvre de J. S. Bach basé sur ce principe compositionnel, l’Offrande musicale, Passe ton Bach d’abord ! donne vie à un foisonnement de propositions musicales que le public déguste avec gourmandise. Une fois encore, chacun est invité à se soumettre à une transhumance bon enfant, courant d’un lieu à l’autre, croisant ici ou là les mêmes auditeurs curieux avec lesquels l’échange se manifeste spontanément. Disons-le une fois encore, Passe ton Bach d’abord ! est aussi et peut-être surtout un formidable élan de convivialité complice.

Il n’est évidemment pas possible d’établir un compte-rendu exhaustif d’un ensemble d’une centaine de manifestations réparties sur la trentaine de lieux citadins. Au gré des pérégrinations, découvertes et confirmations se succèdent.

Ouverture du festival 2019 sous la direction de Michel Brun
– Photo Classictoulouse –

Une active mise en bouche
Comme à son habitude, Michel Brun convoque le public pour une présentation générale. Cette année, la belle salle des Pèlerins de l’Hôtel Dieu accueille, samedi 8 juin en début d’après-midi, ce hors d’œuvre bien en situation. En quelques minutes, Michel Brun définit les règles du jeu et le thème du festival. Il parvient même à transformer l’audience nombreuse réunie ici, en chœur à six voix (!!!) qui entonne vaillamment un thème d’un anonyme du XVIIème siècle « Beaux yeux ». Ainsi prend naissance la première application du contrepoint, celle du simple canon. Chacun s’égaye ensuite vers la multitude des offres musicales de cette édition peu banale.

Dans la salle voisine dite des colonnes, débute ensuite une incroyable entreprise qui associe le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse. Défi extrême : tout au long du week-end, les 48 Préludes et Fugues du Clavier Bien Tempéré sont exécutées par 48 élèves des classes de piano de cet établissement. La première de ces séances s’ouvre sur l’« exercice » qui donne le vertige. Le jeune Anselme joue ainsi le Prélude et Fugue en do majeur, suivi de cinq de ses collègues d’études qui gravissent ainsi cet Himalaya du clavier, ici le piano, dans les tonalités croissantes de la gamme tempérées inventée par Bach le grand. Emouvant témoignage d’un élan collectif pour la musique.

L’ensemble Les Sacqueboutiers. De gauche à droite : Philippe Canguilhem, Jean-Pierre Canihac, Daniel Lassalle, Laurent Le Chenadec et deux élèves chanteurs du Conservatoire
– Photo Classictoulouse –

Parmi les invités
De très nombreux artistes dans les domaines les plus divers se succèdent sur les scènes les plus variées : auditoriums, chapelles, jardins, hôtels… Deux ensembles notables participent à cette célébration : Les Sacqueboutiers et La Fenice offrent chacun une contribution originale et créative.

Le samedi 8 juin, Les Sacqueboutiers offrent deux séances musico-pédagogiques dans l’auditorium Bernard Maris, place Saint-Etienne, puis dans la salle Clémence Isaure de l’hôtel d’Assézat. Les quatre musiciens du « noyau dur de l’ensemble : Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Laurent Le Chenadec, basson, et Philippe Canguilhem, chalemie, élaborent une démonstration d’une éblouissante clarté des procédés du contrepoint, en compagnie de deux élèves chanteurs du Conservatoire. Le brillant pédagogue du groupe, Philippe Canguilhem, démonte, projections astucieuses à l’appui, les mécanismes de ce procédé de composition dont les exemples musicaux sont tirés de l’analyse d’un grand compositeur portugais du XVIème siècle Vicente Lusitano. Bach conclut évidemment la démonstration !

Les musiciens de l’ensemble La Fenice. De gauche à droite : Mathieu Valfré,

Sue-Ying Koang, Jean Tubéry et Keiko Gomi- Photo Classictoulouse –

L’ensemble La Fenice, fondé et dirigé par Jean Tubéry, réalise en la chapelle des Carmélites une irrésistible séance d’investigation de la dualité « sacré-profane » de J. S. Bach. Jean Tubéry, non seulement joue des flûtes et du cornet à bouquin, mais il déclame et chante dans tous les registres, baryton comme contre-ténor ! Le programme, qui s’ouvre sur une sonate de Telemann, explore tout l’œuvre de Bach en une sorte de pot-pourri incroyablement subtil et intelligemment mené. Pièces solo, duos, trios se succèdent alors qu’une mélodie populaire utilisée par Bach évoque « Les choux et les blettes », que le public est incité à entonner de concert ! Le meneur de jeu, Jean Tubéry, est entouré de deux musiciennes et un musicien de grande qualité : Sue-Ying Koang, violon baroque, Keiko Gomi, violoncelle baroque et Mathieu Valfré, clavecin. Ce dernier conclut la séance sur un retour vers l’incontournable « Quodlibet » des Variations Goldberg. Du populaire au divin…
Variations sur L’Offrande musicale
Le samedi soir, de 22 heures à minuit, un jeu de piste entraîne la foule des pèlerins, spectateurs et musiciens dans une déambulation ayant pour sublime décor le cloître des Jacobins. Les différents épisodes de l’œuvre offerte par J. S. Bach au roi Frédéric II de Prusse, « Das Musikalische Opfer » (en français : L’Offrande musicale), accompagnent cette itinérance. Un grand merci aux instrumentistes qui sont appelés à jouer en marchant avec tout ce que cela implique de difficultés de chaque intervention.

Les musiciens de l’Ensemble Baroque de Toulouse et les danseurs de l’ISDAT dans la salle capitulaire du cloître des Jacobiens
– Photo Classictoulouse –

Deux grands moments balisent cette soirée hors norme. L’Ensemble Baroque de Toulouse s’attache ici à sensibiliser l’œil au contrepoint en s’appuyant sur les arts visuels. Dans la salle capitulaire des Jacobins, les étudiants danseurs de l’ISDAT, avec le chorégraphe Bruno Benne, réalisent une correspondance gestuelle du contrepoint délivré par les musiciens de l’EBT. Tout près de là, dans le grand réfectoire, une installation vidéo illustre là encore visuellement l’évolution de la structure musicale de l’un des épisodes les plus élaborés du chef-d’œuvre de Bach : le Ricercare à six voix. Pour cela, le vidéaste Frédéric Jourdain et les étudiants du lycée des Arènes ont disposé six écrans en arc de cercle, réalisant ainsi une sorte d’analyse parallèle du déroulement de la pièce. Les images qui composent cette partition visuelle sont toutes issues du cloître des Jacobins. Une première partie se base sur une orchestration baroque de l’œuvre dont Bach n’a jamais précisé l’instrumentation. En une sorte d’écho, la seconde partie reprend un visuel voisin, stimulé par l’orchestration de ce même Ricercare signé en 1935 par le compositeur Anton Webern. Saisissante démonstration de l’écoute visuelle ou de la vision sonore…

Le Choeur, l’Ensemble Baroque de Toulouse et les solistes de la Messe en Si mineur

de J. S. Bach lors du dernier concert – Photo Monique Boutolleau –

La Messe en Si mineur
Le grand œuvre d’une vie de compositeur conclut brillamment cette 12ème édition. En effet, la Messe en Si mineur, que Johann Sebastian lui-même n’a pu écouter intégralement, constitue l’ultime synthèse d’un langage musical poussé à l’extrême. Le dimanche 9 juin a ainsi réuni, en fin d’après-midi à la Halle aux Grains, l’orchestre et le chœur de l’Ensemble Baroque de Toulouse, ainsi que cinq excellents chanteurs solistes.

Michel Brun s’investit corps et âme dans la direction de cette partition sublime. Dès le Kyrie initial, c’est de ferveur dont il s’agit. Le tempo avance sans s’étirer. L’énergie rythmique confère toute sa vigueur à la succession des traditionnels de la messe. Le chœur et l’orchestre trouvent le bon équilibre et les solistes s’insèrent avec musicalité au discours général. On admire ainsi les timbres riches et différentiés des deux sopranos, Clémence Garcia et Anne-Laure Touya, la voix chaleureuse de Caroline Champy-Tursan, l’éclat sombre du baryton Philippe Estèphe et le raffinement coloré, l’aisance et l’extrême musicalité des phrasés du ténor, l’Italien Mattia Pelosi, révélation soliste de cette soirée. Son Benedictus restera longtemps dans les mémoires.

Il faut également féliciter les solistes instrumentaux dont la contribution reste capitale. Le violon solo, Gabriel Grosbard, les deux flûtistes, les deux hautboïstes et l’ensemble du continuo tiennent leur rang avec ardeur. Une mention spéciale aux cuivres de l’ensemble, sollicités dans leurs derniers retranchements. Un grand bravo en particulier au cor naturel dont le redoutable solo accompagnant l’air de basse du Quoniam reste un modèle. La conclusion du festival ne pouvait générer plus d’émotion. Une émotion que l’on partage avec le maître d’œuvre de cette manifestation hors norme et réjouissante, Michel Brun, manifestation à laquelle le public de Toulouse et d’ailleurs continue d’adhérer avec enthousiasme.

On prend volontiers rendez-vous avec la 13ème édition de Passe ton Bach d’abord !

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