Festivals

Jeune talent

La découverte des talents émergents constitue l’une des lignes d’action du festival Piano aux Jacobins. Après avoir retrouvé les grandes « pointures » du piano que sont Menahem Pressler, Nelson Goerner ou Philippe Bianconi, on ne peut que se réjouir, cette année encore, de recevoir de jeunes artistes en pleine ascension musicale. Le 19 septembre le cloître accueillait Alexander Krichel, jeune pianiste natif de Hambourg.
Ce jeune homme de 23 ans possède déjà un palmarès impressionnant réunissant de nombreux prix dont le très envié Concours International de Piano Steinway & Sons. Il est en outre invité dans de grands festivals, dont le fameux « Beethoven Haus » de Bonn. Ses activités musicales s’accompagnent d’un intérêt tout particulier pour… les mathématiques, les langues et la biologie. Ce surdoué a même remporté le prix des Olympiades de mathématiques !

Le jeune pianiste allemand Alexander Krichel pendant son récital du 19 septembre 2012

– Photo Jean-Claude Meauxsoone –

Son jeu possède une diversité étonnante qui lui fait aborder chaque œuvre exécutée d’une manière spécifique. Beethoven, Schumann et Rachmaninoff, inscrits à son programme particulièrement exigeant, sonnent de manières totalement différentes. Alexander Krichel ouvre la soirée sur la sonate n° 30 op. 109, de Beethoven, le premier des trois chefs-d’œuvre qui concluent la série des sonates pour piano. Il aborde le Vivace ma non troppo sur la pointe des notes, avec une grande sensibilité et une large palette de nuances. L’intériorité est privilégiée, comme si le pianiste jouait pour lui-même. Le Prestissimo résonne sans frappe excessive, avec mesure. C’est dans le vaste Andante à variations que s’exprime au mieux l’intimité de son toucher. L’interprète prend au mot l’indication même de Beethoven : « Très chantant avec le sentiment le plus intime, à mi-voix ». Le mouvement et la sonate se fondent dans le silence.

Les Etudes symphoniques op. 13, composées à partir de 1834 par Schumann à l’intention de sa future épouse bien-aimée Clara Wieck, dévoilent un tout autre caractère, demandent un tout autre jeu de la part de l’interprète. Cette série de variations qualifiée par le musicologue Marcel Beaufils d’« athlétique par excellence » réclame un sens aigu de la concentration et de la vigueur conjuguées. L’élan vital sous-tend toute l’œuvre. Si l’évocation des personnages de Florestan et d’Eusebius, fétiches emblématiques du compositeur, ne sont jamais évoqués explicitement, à coup sûr c’est le bouillant Florestan qui mène la danse. Alexander Krichel fait ici valoir le caractère véritablement symphonique qu’évoque le titre finalement choisi, après maintes hésitations, par Schumann. Les explosions sonores, la vigueur, l’engagement total irriguent d’un bout à l’autre toute l’interprétation du jeune pianiste.

La deuxième partie du concert exige une approche encore différente du style et de l’expression pianistique. La musique de Rachmaninoff possède une telle personnalité qu’elle se reconnaît dès les premières notes. Les Six Moments musicaux op. 16, choisis par Alexander Krichel, représentent comme un concentré des caractéristiques d’écriture du compositeur. La virtuosité, bien évidemment, n’épargne jamais l’interprète. Une virtuosité au service d’une expression profondément romantique. L’alternance entre les mouvements lents et vifs confère une grande diversité à tout le recueil. L’interprète en possède à l’évidence les clés et la sensibilité. Vigueur des interventions héroïques, langueur « maladive » des moments dépressifs, c’est le règne de la noirceur flamboyante. Le final Maestoso (comme par hasard en ut majeur) semble issu d’un final de concerto. Alexander Krichel s’investit totalement dans ce morceau de bravoure fébrile, d’héroïsme épique.

Le public conquis obtient deux bis : la transcription par Liszt du vibrant lied « Widmung » de Schumann et une pièce chaleureuse du compositeur vénézuélien Hernandez « El diablo suelto ».

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