Festivals

Jazz et Baroque, le dialogue au sommet

L’idée paraissait totalement folle. Faire cohabiter, dialoguer, des musiques que quatre siècles d’évolution semblent séparer irrémédiablement, cela tenait vraiment du challenge. Et pourtant c’est bien ce que Les Sacqueboutiers, avec la participation du quintette de jazz réuni autour de Philippe Léogé, ont tenté et réussi avec panache, ce 25 avril dernier, dans la grande salle d’Odyssud, pleine à craquer. Preuve que l’audace et l’originalité attirent les curieux de musique.

Jazz et Pavane semblent a priori développer des styles, des sonorités, des pratiques instrumentales bien éloignés. Jean-Pierre Canihac, fondateur et co-directeur musical des Sacqueboutiers, n’a pas eu de mal, ce soir-là, à convaincre du contraire. La chaîne subtile mais solide qui relie la musique de la Renaissance au Jazz a pour nom « improvisation » ! Appelée ornementation ou diminution, pour la première, l’improvisation constitue la sève créatrice du Jazz. Alors pourquoi ne pas mêler les deux et demander aux jazzmen leurs commentaires musicaux sur les « standards » de la musique ancienne ?

Les deux artisans de la rencontre. Philippe Léogé (à gauche) et Jean-Pierre Canihac

– Photo Classictoulouse –

Le grand pianiste, orchestrateur et arrangeur Philippe Léogé a alors conçu une série de grilles d’improvisation basées sur les motifs issus du très riche monde de la musique ancienne. Chaque pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous experts en matière de musique ancienne et en particulier en ornementation dans le style renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine : Claude Egéa, trompette, Denis Leloup, trombone, Jean-Pierre Barreda, contrebasse et Fabien Tournier, batterie et percussions.

Comme un hymne à la liberté du jeu musical, la fusion des deux mondes s’avère particulièrement jubilatoire. Une étonnante « Bombarde », Credo de la messe anonyme du manuscrit d’Apt, datant du XIVème siècle, ouvre la séance sur une sorte de musique d’avant-garde, truffée de contretemps, de hoquets, sur des harmonies pleines d’audace que les jazzmen triturent avec délice ! Une série de duos instrumentaux paraphrasent ensuite les fameuses « Ricercadas » de l’Espagnol Diego Ortiz, actif en plein XVIème siècle. Tour à tour, sacqueboute et trombone, cornet et trompette, puis cornet et sacqueboute, et enfin trompette et trombone, échangent et accordent leurs humeurs. Diminutions et improvisations délirent avec nostalgie sur le villancico de Juan Vasquez « Con que la lavaré ». Instruments anciens et modernes conjuguent leurs sonorités complémentaires avec gourmandise.

Les Sacqueboutiers et les Jazzmen. Au premier plan de gauche à droite :

Yasuko Uyama-Bouvard (orgue et clavecin), Jean-Pierre Canihac (cornet à bouquin), Daniel Lassalle (sacqueboute), Claude Egéa (trompette), Denis Leloup (trombone), Philippe Léogé (piano). Au second plan : Florent Tisseyre (percussions), Fabien Tournié (batterie), Jean-Pierre Barreda (contrebasse)
– Photo Classictoulouse –

Le duo clavecin-piano (avec intervention de l’orgue) convient parfaitement à la stupéfiante « Toccata settima » de Michelangelo Rossi dont Yasuko Uyama-Bouvard s’est faite une spécialité. Son chromatisme exacerbé donne à Philippe Léogé les outils d’une improvisation débridée. Débridé aussi, le duo entre le cornet et la trompette de « Su la Cetra amorosa », de Tarquinio Merula, l’est assurément, la trompette de Claude Egéa reprenant la partie originale de soprano ! Comme une dispute entre les deux instruments que l’emballement ébouriffant de la batterie finit par calmer…

Après les très belles improvisations sur la passacaille et la ciaccona d’Andrea Falconiero, déployée sur une basse obstinée, tous les musiciens se retrouvent autour d’un éblouissant « medley » associant deux célèbres « ensalada » intitulée « El Fuego » et « La Negrina », de Mateo Flecha, deux tubes incontournables des Sacqueboutiers. Les instruments miment les voix dans un jeu éblouissant de questions-réponses.

Le bonheur avec lequel les musiciens communient dans la même joie d’échanger est communicatif. Un grand bravo à tous avec une mention spéciale à Philippe Léogé pour ses arrangements subtils et magnifiquement musicaux ! A coup sûr, Claude Nougaro, l’inventeur du mélange « Le Jazz et la Java », aurait apprécié cet autre mariage baptisé par les musiciens « Le Jazz et la Pavane »…

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