Le pianiste américain Richard Goode ouvrait le 3 septembre dernier la 31ème édition du festival Piano aux Jacobins. Dans un programme aussi divers que consistant, cet artiste attachant, si étonnamment rare en France, donne toute la mesure d’un talent pétri d’intégrité artistique, de maîtrise musicale mais aussi de force de conviction.
La richesse du toucher, la profondeur de l’analyse, une agogique sans concession permettent à cet authentique musicien d’aborder tous les styles avec la même authenticité. Et Dieu sait que les styles illustrés dans le programme de son récital offrent une ouverture devenue rare sur les estrades. De la Renaissance de William Byrd au Romantisme de Frédéric Chopin, l’éventail des moyens d’expression réclame de la part de l’interprète une vision large et acérée à la fois. Une vision que possède à l’évidence Richard Goode.
Le grand pianiste américain Richard Goode lors du concert d’ouverture de la
31ème édition de Piano aux
Jacobins (Photo Classictoulouse)
L’élégance suprême avec laquelle le pianiste détaille les deux Pavanes et gaillardes (sol majeur et la mineur) de William Byrd dépasse largement l’anachronisme instrumental. Quels fructueux dialogues entre main droite et main gauche, si subtilement dosés, dans les Pavanes ! Quelle vitalité dans les rythmes de danse des Gaillardes ! Le naturel des phrasés dynamise encore cette littérature d’une subtilité et d’une finesse admirables.
Johann Sebastian Bach reste incontournable. Richard Goode fait vivre et palpiter sa Partita en mi mineur BWV 830. Si le sens de la danse diffuse dans les sept parties qui la composent, chacune d’elles conserve sa spécificité. La Toccata introductive s’élève comme un portique solennel mais sans raideur aucune, alors que l’Allemande coule comme un ruisseau bruissant. Incroyable Courante, avec ses contretemps inattendus auxquels l’interprète confère une saveur épicée ! Comme dans la suite des épisodes, la clarté du jeu donne tout à entendre. La complexité du contrepoint devient ainsi richesse.
La transition vers Chopin tient du grand écart, même si Bach constituait pour ce dernier une référence. C’est pourtant le même recours à la danse qui permet aisément ce passage. Les quatre Mazurkas de l’op. 33 alternent mélancolie, nostalgie et exubérance. Richard Goode y prolonge paradoxalement le foisonnement rythmique et expressif du Bach qui précède. Enfin, la trop rare Polonaise-Fantaisie en la bémol qui conclut la première partie fournit à l’interprète un matériau d’une prodigieuse liberté expressive qu’il sert avec humilité et grandeur. Ombres et lumière s’y mêlent dans une étrange atmosphère de crépuscule.
C’est en quelque sorte au-delà du crépuscule que se situe la dernière sonate D 960 de Franz Schubert jouée en seconde partie. Confidence tragique et pudique à la fois, cette œuvre sublime transcende tous les schémas formels et expressifs. L’interprète nous guide avec tendresse tout au long de ce voyage initiatique dans lequel le compositeur nous emporte très loin et très haut. Dès la première phrase, implacable de simplicité, du Molto moderato, la couleur, l’atmosphère campent le décor désolé de cette tragédie intime. L’émotion serre la gorge. La succession des paysages explore toutes les facettes d’une sensibilité exacerbée. De l’Andante tragique à l’Allegro final, faussement joyeux, en passant par l’effervescent Allegro Vivace, Richard Goode choisit la simplicité et le naturel qu’exige cette musique du cœur et de l’âme.
Un retour à la sérénité de Bach puis à l’élégance de Chopin conclut la soirée sur deux bis réclamés avec ardeur par un public ébloui.