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Dana Ciocarlie, la générosité musicale

Le public de la 32ème édition de Piano aux Jacobins attendait Boris Berezovsky, le 6 septembre dernier. Le matin même du concert, un problème de santé inopiné provoque l’annulation de sa venue. Pas de panique ! Les organisateurs du festival ne se résignent pas. Ils obtiennent sur le champ l’accord de la plus française des pianistes roumaines, Dana Ciocarlie, qui accepte de venir à Toulouse se substituer à son collègue russe. Signalons que le récital que devait donner ce soir-là Boris Berezovsky n’est que partie remise. Il est reprogrammé pour le samedi 10 septembre dans ce même cloître des Jacobins. Cerise sur le gâteau, le récital de Dana Ciocarlie est offert au fidèle public du festival !… Que demander de plus ?
La générosité de cette attachante pianiste caractérise son jeu tout autant que sa personnalité. Elle arrive ainsi à Toulouse avec un programme plein de sensibilité et d’intelligence. La plénitude de son toucher, riche et varié, le pouvoir de conviction qui est le sien, son investissement dans chaque partition qu’elle aborde emportent l’adhésion.

La pianiste roumaine Dana Ciocarlie lors de son récital du 6 septembre 2011

dans le cloître des Jacobins
(Photo Jean-Claude Meauxsoone)

La première partie de la soirée, consacrée essentiellement à Schubert et Schumann, s’ouvre sur les trois Klavierstücke D 946 du premier, ces impromptus posthumes d’une insondable profondeur qui prolongent au seul piano la science suprême du lied qui ne quitte jamais les œuvres du compositeur. Dana Ciocarlie sait immédiatement introduire un climat, une tension, si subtile soit-elle. Fébrile, chargée d’inquiétude, son interprétation de ces trois pièces indissolubles plonge par endroit l’auditeur dans des abîmes de douleur intérieure. C’est encore vers Schubert que se dirige ensuite la pianiste. Mais cette fois, un Schubert passé par le filtre pianistique de Liszt. Les deux lieder présentés, dont le très fameux Ständchen (Sérénade) extrait du Schwanengesang (Chant du cygne), privés de la voix, n’en distillent pas moins leur essence fondamentale, seulement ornée de quelques audaces harmoniques.

Les deux Novelettes de Schumann, qui concluent la première partie du concert, recèlent des merveilles de contrastes poétiques que l’interprète adopte avec un naturel familier. La pianiste en relate avec finesse les emportements, les sautes d’humeur, tout en soulignant avec subtilité les modulations audacieuses et si profondément expressives.

Ce curieux cocktail d’effervescence et de nostalgie qui caractérise la Mitteleuropa imprègne toute la seconde partie. Ainsi à la tendre Mélodie Hongroise, d’un Schubert qui n’a jamais quitté Vienne, succède les accents brûlants des six Danses Hongroises de Bartók. Dana Ciocarlie y déploie toute la liberté rythmique que réclament ces pièces, gommant avec bonheur la barre de mesure. Les deux études de Franz Liszt en forme de variations sur des thèmes de Paganini, pétillent comme du champagne. Et c’est avec deux des compositeurs majeurs de Roumanie que la pianiste puise l’énergie dans ses racines. De George Enescu, elle joue tout d’abord cet étrange Carillon nocturne, traduction musicale de complexes sonneries de cloches. Elle conclut enfin sur deux Danses Populaires Roumaines de Paul Constantinescu, riches d’harmonies un rien orientales et d’un rythme aussi élaboré qu’irrésistible.

Il ne faut pas moins de trois bis pour calmer l’enthousiasme d’un public conquis. L’Atlantique est franchi avec un extrait très jazzistique de la symphonie concertante pour piano et orchestre de Leonard Bernstein, alors qu’un bref retour en Hongrie accompagne deux pièces minimalistes extraites de Musica Ricercata de György Ligeti. La soirée s’achève sur l’apaisement réparateur de la belle Romance de Schumann.

Un grand merci à Dana Ciocarlie pour cette participation inattendue et salvatrice à ce 32ème festival.

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