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Cordes et cuivres, l’entente cordiale

Programmés lors de la 14ème édition du festival Toulouse d’Eté, l’Orchestre de Chambre de Toulouse et son directeur Gilles Colliard ont invité deux solistes de choix dans le domaine complémentaire des cuivres. Ce 19 juillet dernier, l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines recevait ainsi deux jeunes lauréats du mythique concours de l’ARD de Munich, le tromboniste Fabrice Millischer et le corniste (et également trompettiste) David Guerrier.
Si l’Orchestre de Chambre de Toulouse n’a plus besoin d’être présenté dans la Ville rose qui l’a vu naître en 1953, les biographies des deux solistes de ce concert méritent une large diffusion.

Né en 1985 dans une famille de musiciens, Fabrice Millischer a commencé ses études musicales (trombone mais également violoncelle et piano !) au Conservatoire de Musique de Toulouse. Il s’est ensuite perfectionné au CNSMD de Lyon dans les classes de Michel Becquet et Alain Manfrin pour le trombone et dans la classe de Daniel Lassalle pour la sacqueboute. Il fut lauréat des concours internationaux de trombone à Budapest en 2005 et de sacqueboute à Toulouse en 2006, avant de remporter en 2007 le Premier Prix du prestigieux Concours International de l’ARD Munich, distinction décernée pour la première fois depuis sa création dans cette discipline. De 2008 à 2013, Fabrice Millischer est trombone-solo à la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern. Malgré son jeune âge, il est déjà un professeur de trombone très demandé. Depuis 2009, il est professeur de trombone à la Hochschule für Musik Saar, ce qui en fait le plus jeune professeur d’Allemagne pour son instrument.

David Guerrier, cor, et Fabrice Millischer, trombone, solistes du Double concerto de

Michael Haydn, l’Orchestre de Chambre de Toulouse est dirigé par Gilles Colliard

– Photo Classictoulouse –

Né en 1984 à Pierrelatte (Drôme), David Guerrier a tout d’abord mené des études de trompette. Il a rejoint la classe de Pierre Dutot au Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon en 1997 après avoir obtenu une dérogation spéciale vu son jeune âge (13 ans). Il remporte à seize ans le 1er Grand Prix de la Ville de Paris du Concours de trompette Maurice André. Il développe très tôt son goût pour jouer les œuvres étudiées sur les instruments d’origine de la composition. En 2002, il remporte le 1er Prix du Concours International de l’ARD Munich. En 2004, il est désigné Soliste instrumental de l’année aux Victoires de la musique classique, toujours en tant que trompettiste. En parallèle, il étudie le cor au Conservatoire de Lyon jusqu’en juin 2006. David Guerrier a également été cor solo de l’Orchestre national de France (sous la direction de Kurt Masur) de 2004 à 2009 puis de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg (avec Emmanuel Krivine) de 2009 à 2010. Il occupe aujourd’hui le poste de trompette solo dans cette même formation. Du fait de sa maîtrise absolue de la trompette et du cor, David Guerrier est parfois surnommé, dans le milieu musical, « l’extraterrestre » !

Ces deux solistes d’exception ouvrent leur concert toulousain avec le rare Double concerto pour cor et trombone de Michael Haydn, le frère de Joseph. Probablement composée à l’origine pour deux cors, cette pièce en deux parties (Adagio et Allegro molto) sonne à la fois comme un duo et comme une sorte de confrontation entre deux virtuosités, deux instruments qui se défient et se complètent. Soutenus par les cordes de l’OCT dirigées par Gilles Colliard, les deux solistes font assaut de brio, mais aussi de finesse et de musicalité. Ils imaginent de belles cadences dans lesquelles les deux sonorités se complètent habilement.

Fabrice Millischer, soliste du Concerto pour trombone et orchestre de Gilles Colliard qui dirige lui-même la création mondiale de son oeuvre – Photo Classictoulouse –

David Guerrier est ensuite le soliste du sensible et très romantique Nocturno pour cor et orchestre de Franz Strauss. Père de Richard Strauss et corniste lui-même, Franz Strauss fut longtemps en conflit avec son fils à propos de Wagner que le fils adorait et que le père n’aimait pas, bien qu’il fût cor solo à l’Orchestre du Festival de Bayreuth des débuts ! Ce Nocturno s’avère parfait pour mettre en évidence les belles qualités de phrasé du jeu de David Guerrier dont la sonorité de rêve s’allie parfaitement avec le soutien léger et diaphane des cordes.

Après les volets classique et romantique de ce programme, l’OCT et Fabrice Millischer sont appelés à œuvrer dans la création mondiale du Concerto pour trombone et orchestre à cordes de… Gilles Colliard lui-même. On connait le talent de créateur du directeur de ce bel orchestre. L’intérêt de pouvoir bénéficier des commentaires du compositeur avant d’entendre sa création constitue un avantage considérable. Gilles Colliard explique donc, avec des mots simples, que les cinq mouvements de ce concerto symbolisent en fait cinq « maisons », cinq lieux qui se succèdent comme pour illustrer les diverses facettes de toute une existence.

Fabrice Millischer, David Guerrier et Gilles Colliard au salut final – Photo Classictoulouse –

Le premier volet « Casa del Diavolo » est basé sur un déferlement du rythme où s’affrontent le trombone, sollicité dans tous les retranchements d’une incroyable virtuosité, et les cordes en folie. La « Maison de la solitude » qui suit adopte le ton de la rêverie, du détachement. Le retour d’une agitation presque effrénée anime le troisième volet « Ferme bernoise », dont l’ironie, l’humour ne peut échapper à l’auditeur, lorsqu’on connait, comme le rappelle Gilles Colliard (de Genève !), la lenteur qui réside dans le comportement supposé des Bernois. L’élément autobiographique est ici une évidence. Le titre « Sweet home » illustre bien la quatrième section du concerto qui résonne comme le retour à l’apaisement du cocon familial tout imprégné d’une profonde nostalgie. L’écriture legato pour le trombone, admirablement traduite par le soliste, donne lieu ici à un épisode d’une grande tendresse. Et c’est enfin un mouvement conclusif « Ultime demeure », d’une incroyable complexité qui alterne les plages d’agitation fébrile et les moments d’attente ou même d’angoisse. On ne peut ignorer la dimension ironique, grimaçante parfois que vient soutenir quelques glissandi suggestifs. On se croit par instants dans une sorte de danse macabre qui conclut cette étonnante création. Connaissant les qualités et les capacités virtuoses de Fabrice Millischer, Gilles Colliard n’a pas épargné ni sa virtuosité ni ses qualités musicales qui font ici des merveilles.

Le contraste n’est pas mince avec le retour au classicisme triomphant de la Symphonie n° 36, dite « Linz », de Mozart. Exécutée ici dans sa version pour orchestre à cordes du Vénitien Giambattista Cimador, cette apothéose de la symphonie classique combine imagination et subtilité. Gilles Colliard en offre une vision énergique et vive, choisissant des tempi nerveux et contrastés.

Les applaudissements nourris réclament et obtiennent le retour des deux solistes qui offrent de nouveau un extrait du Double concerto de Michael Haydn. L’entente parfaite.

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