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Beethoven sous tension

Invité pour la première fois au festival Piano aux Jacobins, l’étonnant pianiste néerlandais Ronald Brautigam offrait, le 15 septembre dernier dans le cloître éponyme, un récital marquant, entièrement consacré à Beethoven.
Réputé pour sa pratique intelligente et sensible du pianoforte, il régénère sur instruments historiques les répertoires classiques et romantiques, de Haydn à Mendelssohn en passant par Mozart et précisément Beethoven dont il a enregistré l’œuvre pour piano solo. Néanmoins, Ronald Brautigam sait également tirer le meilleur parti des instruments modernes. Ainsi c’est sur le Steinway du festival qu’il décide d’offrir quatre sonates parmi les plus emblématiques du grand Ludwig van. Il choisit en outre, parmi le vaste recueil des 32 opus, quatre des plus célèbres partitions « titrées ». Passionné et volontaire, le jeu beethovénien du pianiste témoigne d’un caractère affirmé, personnel, propre à traduire toute l’énergie révolutionnaire du compositeur. Il n’est pas jusqu’au comportement du pianiste devant son clavier, son engagement physique, son impressionnante crinière blanche qui ne suggèrent un frappant mimétisme !

Le pianiste néerlandais Ronald Brautigam lors de son récital Beethoven

le 15 septembre 2011
(Photo Jean-Claude Meauxsoone)

Les premières mesures de la sonate n° 8 en ut mineur, dite « Pathétique », titre apocryphe mais accepté par Beethoven, marquent cette volonté de proclamer sa force de persuasion. La lenteur délibérée de l’introduction Grave ménage un contraste saisissant avec la vivacité de l’Allegro, volontaire et comme indomptable. Après l’Adagio cantabile, à plusieurs facettes, le thème initial du Rondo final, presque léger, conduit irrémédiablement au drame le plus intense lors du développement.

Dans la 15ème sonate, baptisée judicieusement « Pastorale » après la mort du compositeur, l’interprète manifeste une belle liberté dans la rigueur. Comme improvisée, son approche s’effectue dans la respiration apaisée des premières mesures de l’Allegro initial. Ronald Brautigam confère à chaque mouvement son caractère spécifique. De la marche un peu sévère de l’Andante, au jeu étrange du Scherzo jusqu’à l’étonnant tableau du Rondo final, sorte de parallèle avec la 6ème symphonie, « Pastorale » elle aussi, auquel ne manque même pas le fameux orage, ici en condensé.

Du célébrissime premier mouvement de la sonate, qualifiée bien malgré elle de « Clair de lune », Ronald Brautigam donne une vision bien éloignée de la simple description idyllique d’un paysage nocturne. Sous ses doigts, cet Adagio sostenuto résonne ici plutôt comme une marche funèbre pleine d’incertitudes et même d’angoisse. La pause aimable de l’Allegretto est suivie de la chevauchée fantastique du final Presto agitato, saisissante dans son implacable fuite vers l’abîme.

L’Appassionata (n° 23 en fa mineur) porte vraiment bien son nom. Le génie de Beethoven s’y déploie sans limite, aussi bien sur le plan de l’écriture que celui de l’expression. L’interprète développe ici chaque élément novateur de manière saisissante. Les premières mesures, inquiétantes et même menaçantes, de l’Allegro assai conduisent à ces incroyables accords graves, comme d’autres appels du destin d’une certaine 5ème symphonie. Ronald Brautigam ne relâche pas un instant la tension de cette œuvre unique, jusqu’à la nouvelle course à l’abîme, tragique, inéluctable, de cet incroyable final.

A la suite d’une telle accumulation d’adrénaline, il fallait relâcher un peu la pression. C’est exactement ce que choisit l’interprète avec deux bis offerts comme autant de clins d’œil. La fameuse « Lettre à Elise », de Beethoven, si souvent massacrée par de jeunes doigts malhabiles, est suivie du non moins fameux « Rondo alla Turca », autrement dit la « Marche turque », de la sonate n° 11 de Mozart. Un bon moyen de retomber sur terre avec le sourire.

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