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Beethoven contre vents et marées

Décidemment, l’édition 2011 des Chorégies d’Orange subit insidieusement les aléas météorologiques d’un été maussade. Déjà, la répétition générale ainsi que la seconde représentation d’Aïda du 12 juillet ont dû être amputées du quatrième acte en raison d’une pluie sournoise et rédhibitoire pour les instruments à cordes. La même mésaventure s’acharnant sur l’Orchestre National du Capitole a failli compromettre son second concert, consacré le 16 juillet à Beethoven et ses 8ème et 9ème symphonies.
Néanmoins, après un changement dans l’ordre d’exécution des deux symphonies au programme et une suspension temporaire à l’issue du premier mouvement de la 9ème symphonie (quelques gouttes menaçantes ayant heureusement attendu, pour tomber, la conclusion de l’Allegro ma non troppo) la soirée a pu se poursuivre presque normalement. Le public et la direction du festival n’ont pas manqué de saluer chaleureusement le courage et le professionnalisme des musiciens de la phalange toulousaine et de son chef Tugan Sokhiev qui ont ainsi sauvé le concert en acceptant d’assumer les risques du moment.

L’Orchestre National du Capitole de Toulouse, dirigé par Tugan Sokhiev, l’Orfeon Donostiarra de San Sebastian et de gauche à droite au second plan : Ricarda Merbeth, Nathalie Stutzmann, Endrick Wottrich et Albert Dohmen –
Crédit photo : Classictoulouse

Ainsi s’élèvent, dans la nuit déjà menaçante, les premiers accents de la 9ème symphonie. Pris dans un tempo soutenu, ce mouvement bénéficie une fois de plus de l’incroyable transparence que l’acoustique miraculeuse du Théâtre antique apporte à la direction acérée et contrastée de Tugan Sokhiev. Tendu et comme angoissé, le déroulement de ce mouvement semble poser les questions auxquelles le final tentera d’apporter les réponses. Dans le Molto vivace, la timbale mène la danse. Vif, bondissant, ce scherzo d’un autre genre, et qui héberge la première citation du fameux thème du final, brille ici d’un éclat particulier. A cette agitation inquiète succède la profonde méditation pleine de doute du sublime Adagio molto e cantabile auquel Tugan Sokhiev confère une grave intensité. Le temps s’arrête. Un legato d’une admirable souplesse semble illustrer le fameux vers de Nerval, dans El Desdichado qui évoque « Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée »… Le final se construit pas à pas, des questions posées à l’apothéose conclusive. Dans cet étonnant récitatif instrumental, le rappel des motifs précédents mène peu à peu à la réponse qui s’élabore comme une improvisation. Les voix se mêlent enfin aux instruments. Celles du Chœur de l’Orfeon Donostiarra de San Sebastian réalisent de bien belles interventions, denses et bien timbrées : le chant des multitudes. Parmi les quatre solistes prestigieux, regrettons la méforme (que l’on espère passagère) de la basse Albert Dohmen (pourtant magnifique Wotan, à Bayreuth) et de la soprano Ricarda Merbeth (grande Impératrice de La Femme sans ombre, à Toulouse) dont les émissions présentent ce soir-là un vibrato hors de propos. Saluons par contre la chaleur du timbre de velours de Nathalie Stutzmann et surtout l’héroïque intervention pleine d’ardeur du splendide ténor Endrick Wottrich, célèbre Siegmund dont la voix s’épanouit magnifiquement. L’orchestre déploie une fois de plus la richesse de ses couleurs dans une progression irrésistible vers l’apothéose finale menée dans la plus joyeuse ferveur.

La 8ème symphonie, du même Beethoven, témoigne d’un tout autre caractère. La filiation avec Haydn éclate dès les premières mesures. L’Allegro vivace initial, pris dans un tempo mesuré, ne peut s’empêcher de baguenauder avec un esprit et même un humour irrésistibles. Comment ne pas sourire aux répliques goguenardes d’un impertinent basson ? L’Allegretto scherzando, amicale plaisanterie à l’égard de l’inventeur du métronome Maelzel, puis le Tempo di minuetto, évocation subtilement caricaturale d’une danse de salon, mène avec bonhomie au joyeux final qui semble justement ne jamais pouvoir finir. Tugan Sokhiev et ses musiciens jouent le jeu avec finesse. Un bonheur sans mélange.

Ainsi s’achève la participation exceptionnelle de l’orchestre toulousain à ces 40èmes Chorégies, une participation que le directeur du festival Raymond Duffaut se plaît à saluer chaudement à l’issue du concert. Gageons que la collaboration se poursuivra à l’avenir.

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