Festivals

Bayreuth : une commémoration révolutionnaire

Le festival de Bayreuth reste unique à bien des égards. Depuis sa fondation en 1876 par Richard Wagner pour la représentation exclusive de ses propres œuvres lyriques, il a toujours surmonté les avatars de l’histoire. Les années noires des deux guerres mondiales ont interrompu un temps la fête wagnérienne qui a repris de plus belle dès 1951, année à partir de laquelle le festival a adopté son rythme annuel. Cas unique dans le monde musical, ce sont les membres de la famille du compositeur qui n’ont jamais cessé de régner à la tête de cette institution exceptionnelle qui célèbre cette année le bicentenaire de la naissance du chef de cette grande dynastie.
Un peu d’histoire ! A la mort de Richard Wagner, se sont succédé à la direction du festival, tout d’abord sa veuve, Cosima, puis son fils, Siegfried. La veuve de ce dernier, Winifred, prit le relai à la mort presque simultanée de Cosima et de Siegfried. Ses relations amicales avec un certain Adolf Hitler ayant quelque peu terni son image, les deux petits-fils, Wieland et Wolfgang, ont pris la direction du festival à partir de 1951. A la disparition prématurée de Wieland, en 1966, Wolfgang a assuré seul cette fonction jusqu’en 2008, deux ans avant son propre décès. Ce sont alors ses deux filles, Katharina Wagner et Eva Wagner-Pasquier, qui prirent le relai. Avec ces deux directrices, les changements ne manquent pas de secouer la sacralisation dont leur arrière-grand-père a généralement fait l’objet.

La prolifération des “nains de jardins wagnériens” dans le parc du Festspielhaus

– Photo Classictoulouse –

Outre le choix des metteurs en scène, dont il sera question dans les articles critiques des représentations de cette édition 2013, quelques surprises attendent les « pèlerins » habitués ou non de ce festival prestigieux. Tout d’abord, les parterres fleuris qui entourent le Fespielhaus voient pousser une impertinente collection de pseudo-nains de jardin unicolores (bleus, roses, violets) à l’image de… Richard Wagner.

Nettement plus substantielle apparaît l’exposition « Verstummte Stimmen » (Voix étouffées) relatant l’histoire de l’expulsion des Juifs de l’opéra, telle qu’elle fut pratiquée en Allemagne, et notamment à Bayreuth, entre les deux guerres mondiales. C’est probablement la première fois que cette tragédie historique se trouve à ce point clairement exposée ici. Dévoilée initialement en 2006 à Hambourg, elle a été inaugurée en 2012 à Bayreuth qui fut hélas un haut lieu de ce « nettoyage ethnique » pratiqué par le régime nazi. Quelques 44 panneaux, déployés dans les jardins du Fespielhaus, décrivent l’histoire de chaque artiste, juif, demi-juif ou quart-de-juif, ayant eu à souffrir de cette écœurante discrimination. Certains ont échappé au pire en émigrant aux Etats-Unis ou ailleurs, mais un nombre important d’entre eux ont fini leurs jours dans les camps de la mort : chanteurs, musiciens, chefs d’orchestre, metteurs en scène composent ainsi ce triste catalogue qui donne le frisson. Des noms célèbres qui ont porté haut le chant wagnérien en ont été les victimes, comme Frida Leider, Friedrich Schorr ou Alexander Kipnis. Un grand nombre d’instrumentistes ont également payé un lourd tribut à cette politique suicidaire, comme Eduard Rosé, célèbre violoncelliste, qui fut déporté et mourut à Theresienstadt.

Une partie de l’exposition “Verstummte Stimmen” présentée dans le parc du Festspielhaus – Photo Classictoulouse –

Les membres de la famille Wagner, à commencer par le compositeur lui-même, ne sont pas épargnés par les commentaires de l’exposition. On apprend ainsi que Siegfried, Cosima, Winifred ont même parfois précédé les exigences des nazis sur cette élimination. On sort de ces révélations consternantes la gorge nouée.

Pour leur évidente volonté d’éclaircissement, on peut donc rendre grâce aux deux co-directrices actuelles du festival dont les ancêtres se sont comportés avec une complaisance coupable vis-à-vis des instigateurs de cette tragédie humaine et artistique. Pour que l’on n’oublie pas, il fallait que l’abcès soit percé !

Maintenant, place à la musique : une nouvelle production de Der Ring des Nibelungen, et les reprises de celles de Tannhaüser, Lohengrin et Der Fliegende Holländer, sont là pour célébrer le bicentenaire de la naissance du compositeur. Autant de spectacles étonnants dont le cycle final fera l’objet de comptes rendus dans ces mêmes colonnes.

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