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Bach selon Fray

David Fray possède une personnalité hors du commun. Pianiste virtuose plein de fantaisie et d’imagination, il explore au gré de sa curiosité les territoires musicaux les plus divers. Invité une nouvelle fois par le festival Piano Jacobins, il a ravi le public du fameux cloître lors de la soirée du 13 septembre qu’il avait décidé de consacrer à Johann Sebastian Bach.
C’est d’ailleurs avec Bach qu’il avait débuté sa carrière discographique. Son premier CD français associait, paradoxalement, Boulez à l’auteur du Clavier bien tempéré. Puis il consacrait un autre CD à quelques uns de ses concertos pour clavier. Bach représente donc pour David Fray un point de ralliement, une sorte de référence. Pour son récital toulousain, il choisit d’associer deux des sept Toccatas pour clavecin, composées vers 1709 à Weimar, à deux des six Partitas publiées, quant à elles à Leipzig vers 1731. Jouant sur les tonalités, il consacre la première partie du concert au mi mineur, la seconde à l’ut mineur.

Le pianiste David Fray lors de son récital Bach au 34ème festival

© Classictoulouse

Le Bach « de David Fray » est très personnel. Le pianiste ne cherche en aucun cas à imiter le clavecin, instrument pour lequel la plupart de ces pièces ont été conçues. Il explore les partitions choisies sans cette austérité avec laquelle certains interprètes les restituent. Même si la chaise basse sur laquelle le jeune pianiste s’assoit rappelle celle, célébrissime, d’un certain Glenn Gould, son jeu ne s’inspire en rien de celui du mythique pianiste canadien.

L’imagination, la coloration, la variété des touchers évoqueraient plutôt le travail des organistes. Au clavier de son Steinway, il déploie une large registration et n’hésite pas à utiliser toutes les ressources de son instrument. Jouant sur la dynamique, les crescendos et les decrescendos, le rubato, il donne vie à une musique que domine une vitalité permanente.

Ainsi le final de la Toccata en mi mineur BWV 914 sonne avec une exubérance réjouissante, alors que la concision de l’ut mineur BWV 911 favorise l’introspection. Les deux Partitas inscrites au programme représentent évidemment le cœur révélateur du concert. La n° 6 en mi mineur s’ouvre sur une Toccata effervescente, dont l’interprète souligne avec raison le caractère improvisé, entourant la fugue centrale à trois voix. La gravité de l’Allemande, les syncopes de la Courante, la profonde beauté de la Sarabande conduisent à une Gigue finale en transe ! Le développement de sa fugue à trois voix prend ici les allures d’une irrésistible ascension vers le ciel.

La vaste Sinfonia en trois parties qui ouvre la Partita n° 2 en ut mineur lui confère une gravité intemporelle. Là encore le style fugué est admirablement organisé et soutenu par l’interprète. Gravité encore avec une Allemande inhabituelle par sa modération. C’est avec nostalgie que se déroule la Sarabande particulièrement étendue. Après les couplets du Rondeau à la française, le mouvement final revient à l’exubérance d’un Capriccio (en lieu et place de l’habituelle Gigue) que l’interprète traduit avec un bonheur communicatif.

Rien de standard donc dans la vision de Bach que David Fray anime avec conviction. La vie tout simplement dans sa diversité et son exubérance ! Le public, réclamant avec insistance le retour du pianiste, obtient de lui deux bis très différents : tout d’abord la sobre transcription par Busoni du choral de Bach « Nun komm, der Heiden Heiland », puis l’émouvante introduction des Kinderszenen (Scènes d’enfants) de Schumann.

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