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Bach-Schoenberg : le passionnant dialogue

Trois concerts simultanés du 35ème Festival Piano aux Jacobins étaient proposés aux mélomanes, ce lundi 22 septembre. Cruel dilemme qui en dit long sur la richesse du répertoire et des interprètes invités par la brillante manifestation toulousaine. Le choix de votre serviteur s’est porté sur la soirée au Musée Les Abattoirs. Le grand pianiste français Florent Boffard y perpétuait ce dialogue fructueux entre le répertoire passé et les créations plus proches de notre temps, un dialogue qui associe depuis quelques années, Piano aux Jacobins et ce beau musée consacré à l’art plastique le plus pointu.
Soliste à l’Ensemble Intercontemporain de 1988 à 1999, Florent Boffard a côtoyé les principaux compositeurs de notre temps et effectué la création de pièces de Boulez, Donatoni, Ligeti… Il fut d’ailleurs l’élève d’Yvonne Loriod au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il a obtenu son Premier Prix de Piano. Technicien hors pair, certes, mais surtout artiste ouvert, intelligent et sensible, Florent Boffard sait comme personne composer un programme et en présenter les lignes directrices. Associer Johann Sebastian Bach et Arnold Schoenberg ne paraît pas découler d’une évidence à priori. Comme le souligne le pianiste en cours de concert, Bach apparaît comme le fondateur de tout notre système tonal. Schoenberg en fut le dynamiteur ! Néanmoins, bien des liens subsistent entre ces deux créateurs imaginatifs et puissants.

Florent Boffard devant le rideau de scène de Picasso – Photo Classictoulouse –

La composition du programme de cette soirée résulte d’une étonnante logique et d’une belle subtilité. Il s’ouvre sur une grande partition de Bach, la Suite française n° 5 en sol majeur, et se referme sur l’œuvre pianistique majeure de Schoenberg, sa Suite pour piano op. 25. Entre ces deux piliers, Florent Boffard alterne les pièces des deux compositeurs, découvrant ici ou là des correspondances inattendues, surprenantes, des liens subtils.

Dans cette monumentale Cinquième Suite en sol majeur BWV 816, qui ouvre la soirée comme un somptueux portique, le pianiste déploie un jeu d’une éblouissante clarté, met en lumière chaque voix, confère à chacun de ses mouvements (Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte, Bourrée, Loure, Gigue) son caractère dominant. La danse est à l’honneur, vivifiée par le toucher dynamique de l’interprète.

Suit alors, après une présentation claire et passionnée du pianiste lui-même, ce dialogue en miroir entre les deux compositeurs. Florent Boffard choisit d’intercaler deux Inventions à 3 voix (n° 9 et n° 13) et l’Andante de la Sonate en trio n° 4, entre les mouvements des Cinq pièces pour piano op. 23 de Schoenberg. L’aller et retour entre la tonalité et l’atonalité est une source inattendue de joie musicale. Le puissant recueil de Schoenberg constitue le premier essai abouti de musique sérielle. Les tempi les plus divers s’opposent les uns aux autres. La stabilité tonale des pièces de Bach vient périodiquement recaler l’écoute des mouvements « hors tonalité » de la partition de Schoenberg (Sehr langsam – très lent, Sehr rasch – très rapide, Langsam – lent, Schwungvoll – plein d’élan, Walzer – valse). L’expérience se révèle passionnante.

La Suite pour piano op. 25, de Schoenberg, vient conclure ce programme. Comme en écho à la Suite française de Bach qui ouvrait la soirée, cette partition, basée elle aussi sur la danse, représente l’aboutissement du « dodécaphonisme » intégral, cette théorie musicale qui rend sa liberté à la gamme pythagoricienne en la divisant en douze sons égaux, sans hiérarchie aucune. Est-il nécessaire de savoir tout cela pour apprécier cette musique ? Certainement pas. D’ailleurs, du Präludium initial à la Gigue finale, en passant par Gavotte et Musette, Intermezzo et Menuet et trio, défilent à peu près les mêmes rythmes que ceux qui animent les célèbres suites de Bach. Ce rythme représente le dernier barrage contre une liberté absolue. C’est comme une boucle qui se referme.

Signalons que ce concert se déroulait dans la grande salle inférieure du musée, le piano étant disposé devant le sublime rideau de scène, « La dépouille de Minotaure en costume d’Arlequin », que Pablo Picasso a conçu en 1936. L’acoustique aérée, le cadre luxueux complètent harmonieusement le plaisir musical.

L’aventure pianistique se poursuit…

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