Cette 9ème édition du festival Passe ton Bach d’abord !, placée sous le signe du concerto, a une fois encore rassemblé les publics les plus divers, les curieux, les solitaires, les familles, autour d’une légende musicale dont le seul nom évoque un monde d’espoir, de grandeur et néanmoins familier. En dépit des désastres météorologiques de ces derniers jours, le temps de ce week-end de juin a épargné la Ville rose. La transhumance habituelle, qui conduit les Toulousains et les assimilés à marcher, parfois à courir, d’un lieu de concert à l’autre a animé toute la cité. Les discussions n’ont pas manqué de tisser des liens impromptus et spontanés entre ceux qui d’habitude ne font que se croiser. Bref le thème du festival, « Le concerto », a bien porté son nom. La concertation a fonctionné à plein et à tous les niveaux.
La centaine de manifestations répartie dans la trentaine de lieux choisis a attiré une foule souriante et avide de découvertes dans laquelle tous les âges sont représentés, bien au-delà de la traditionnelle gamme de sept à soixante-dix-sept ans. Artistes locaux et célébrités lointaines se sont fondus dans la même passion musicale : Bach à tous les étages !
A côté des exécutions « historiquement informées », sur instruments d’époque, fidèles aux partitions originales, l’imagination des interprètes n’a pas connu de limites. Improvisations, orthodoxes ou non, adaptations, transcriptions dans tous les styles possibles, du jazz aux musiques nouvelles, n’ont pas manqué d’animer le week-end.
La présentation de la Messe brève en sol majeur lors du concert d’ouverture.
Au premier plan, de gauche à droite : la soprano Eliette Parmentier,
l’alto Caroline Champy Tursun, le ténor Bastien Rimondi, la basse Pierre-Yves Binard
et le chef Michel Brun
– Photo Classictoulouse –
Le grand concert d’ouverture
L’hommage solennel a rassemblé les artisans principaux de cette fête lors du grand concert du vendredi 4 juin qui a fait le plein de la cathédrale Saint-Etienne autour de son « inventeur », Michel Brun. Sous sa direction, le Chœur et l’Orchestre de l’Ensemble Baroque de Toulouse, ainsi que quatre solistes vocaux ont ainsi célébré le nom de Bach à travers le père, Johann Sebastian, mais aussi le fils Carl Philipp Emanuel, le cœur du concert étant dédié à la musique sacrée, en l’occurrence l’une des Messes Brèves du Cantor, comme pour symboliser une sorte de Sainte Trinité. Ce programme original résume en quelque sorte tout l’esprit du festival.
La soirée s’ouvre sur le 1er des six fameux Concertos Brandebourgeois, un recueil mythique qui représente une sorte d’emblème du concerto grosso. Ce tout premier opus est curieusement l’un des moins joués. L’intervention stratégique et toujours redoutablement difficile de deux cors naturels en est probablement la raison. Rythmes soutenus, couleurs instrumentales des cordes enrichies par les pupitres de vent, hautbois, basson et surtout cors naturels aux redoutables défis ici admirablement relevés par Nicolas Chedmail et Edouard Guittet, confèrent à l’exécution sa vigueur et sa beauté.
L’une des quatre Messes brèves du père Bach, celle en sol majeur, résume ensuite, en quelques minutes, les éléments essentiels qui font du compositeur le maître de l’art sacré. Ce concentré de musique reprend des extraits de cantates antérieure (BWV 17, 79, 138 et 179) dans lesquels chaque élément (orchestre, chœur, solistes) a son importance. Le Gratias offre à la voix de basse une aria virtuose et ornée de vocalises éblouissantes. Un grand bravo à Pierre-Yves Binard pour cette intervention. L’admirable duo de voix féminines (Eliette Parmentier, soprano et Caroline Champy Tursun, alto) pour le Domine Deus, puis le tendre dialogue entre le hautbois et le ténor au timbre angélique et à l’expression pleine d’émotion de Bastien Rimondi mènent au choral final plein d’une ferveur lumineuse.
La violoncelliste Ophélie Gaillard, soliste du concerto de Carl Philipp Emanuel Bach
– Photo Classictoulouse –
La seconde partie de la soirée est consacrée au fils du Cantor, Carl Philipp Emanuel, dont le Concerto en la mineur pour violoncelle et orchestre Wq. 170 (H. 432) fut composé vers 1750. Ce splendide triptyque, tout imprégné du Sturm und Drang, bénéficie là de la somptueuse interprétation d’Ophélie Gaillard, qui allie comme personne rigueur et expression. Sa sonorité riche et onctueuse sait se faire acérée et conquérante lorsque le texte le réclame. On admire en particulier les tourments et la mélancolie qui imprègnent le merveilleux Andante. Les deux cadences des 1er et 2ème mouvements, laissées par le compositeur à l’imagination de l’interprète s’avèrent ici admirables de virtuosité chaleureuse, de finesse, de musicalité et de poésie. En bis, Ophélie Gaillard retourne vers le père avec la Sarabande de la 3ème Suite pour violoncelle seul de Johann Sebastian. Un moment d’éternité !
Parmi le foisonnant programme du week-end, les contributions des solitaires…
Aux côtés des grands déploiements sonores, cette édition du festival offrait une place particulière aux expressions solistes qu’il m’apparaît nécessaire de célébrer ici. C’est ainsi qu’Ophélie Gaillard, dans la douce intimité de la Chapelle de l’Hôtel Dieu, offrait un dialogue par-delà des siècles entre Johann Sebastian Bach et Gaspar Cassadó. La Suite n° 2 en ré mineur, BWV 1008, du premier, date de 1721. L’interprète enchaîne les mouvements de danse avec une science du rythme et un sens de la polyphonie qui subjuguent. Les contrastes existent sans pour autant morceler le discours. De l’émotion méditative de la Sarabande à la vivacité rythmique de la Gigue, la richesse instrumentale, le soutien expressif des phrasés font merveille.
Yasuko Uyama-Bouvard dans la chapelle des Carmélites
– Photo Classictoulouse –
Deux siècles plus tard, en 1926, Cassadó composait sa propre Suite pour violoncelle seul. Ophélie Gaillard nous en livre avec passion l’invention mélodique, la vitalité rythmique liée là aussi à la danse. Les déploiements virtuoses, doubles cordes, jeu en harmoniques, ambitus ahurissant, s’intègrent tout naturellement à la ligne générale. Voici qui exalte la grandeur de la confrontation.
La beauté de l’écrin que constitue la Chapelle des Carmélites convient si bien à la sonorité de clavecin, que cette année encore Yasuko Uyama-Bouvard a choisi d’y aborder le répertoire pour clavier, en l’occurrence l’Ouverture française, de Johann Sebastian. Cette suite de danses en si mineur constitue, avec le Concerto Italien, la seconde partie de la Clavier-Übung (exercice pour le clavier) publiée en 1735 par Christoph Weigel, graveur et éditeur à Nuremberg. Son titre original « Overture nach Französicher Art » (Ouverture à la manière française) la rattache à un style que Bach admirait. Ses six mouvements de danse sont à rapprocher de ceux des Suites pour violoncelle. Ils sont précédés d’un Prélude particulièrement élaboré et suivis d’un étrange mouvement titré Écho qui demande à l’interprète une succession d’aller et retour entre les deux claviers nécessaires pour cette exécution. Yasuko Uyama-Bouvard confère à l’œuvre toute la fantaisie et la vitalité dont elle déborde. Du grand art !
Michel Brun, au traverso, dans le salon de la Préfecture – Photo Classictoulouse –
Autre instrument solitaire, la flûte traversière, ou traverso selon le vocabulaire baroque, que Michel Brun pratique avec talent et finesse, offre une autre plage de pratique soliste. Hébergé dans le très beau salon de la préfecture de Toulouse, ce récital en forme de dialogue entre deux compositeurs proches trouve dans ce lieu intime et précieux, l’acoustique et l’atmosphère idéales. De Georg Philip Telemann, ami proche de Bach, au point d’avoir été choisi comme parrain de son fils Carl Philipp Emanuel, Michel Brun joue d’abord deux des 12 Fantaisies pour flûte traversière seule publiées à Hambourg en 1732-1733. Ni sonates, ni suites de danses, ces deux Fantaisies, en si mineur et en mi mineur, portent bien leur nom. Telemann y déploie notamment une imagination rythmique étonnante. La fameuse Partita pour flûte seule de Johann Sebastian Bach fait écho à Telemann. Michel Brun, en pédagogue passionnant, rappelle que cette œuvre unique n’est peut-être qu’une transcription d’une pièce (une suite ?) pour violon ou violoncelle. Ce que les instruments à cordes pratiquent couramment (doubles cordes), n’est en aucun cas accessible à la flûte. L’interprète se doit donc de jouer sur les résonances afin de réaliser une sorte de polyphonie virtuelle. Michel Brun explore ici les quatre volets de l’œuvre avec une fluidité naturelle qui emprunte le ton de la confidence.
Répétition et interprétation de la Cantate BWV 76. De gauche à droite :
la soprano Amendine Bontemps, l’alto Caroline Champy Tursun, le ténor Bastien Rimondi et la basse Pierre-Yves Binard – Photo Classictoulouse –
La Cantate sans filet
Comme le veut la tradition, le festival s’achève, dimanche soir, par l’ultime séance des Cantates sans filet de la saison. La nef raymondine de la cathédrale Saint-Etienne, pleine à craquer d’un public enthousiaste, accueille ainsi, sous la direction passionnée et énergique de Michel Brun, les musiciens et le chœur de l’Ensemble Baroque de Toulouse, ainsi que quatre solistes vocaux. Au menu, la splendide cantate BWV 76 « Die Himmel erzählen die ehre Gottes » (Les cieux racontent la gloire de Dieu). Comme à son habitude, Michel Brun fait travailler ses musiciens et ses chanteurs dans les conditions d’urgence qui prévalaient probablement au temps de Bach. Il fait profiter de ses indications précises toute l’assistance qui se voit ainsi révéler les significations, les dessous, peut-être les secrets, de la composition d’une pièce sacrée dont l’écriture recèle bien des symboles. On retrouve avec plaisir l’alto Caroline Champy Tursun, le ténor Bastien Rimondi et la basse Pierre-Yves Binard, déjà présents lors du concert d’ouverture, rejoints cette fois par la soprano Amandine Bontemps. Tous quatre très impliqués dans la démarche, apportent leur contribution à cette démonstration de virtuosité musicale. L’orchestre s’enrichit de quelques instruments spécifiques, comme l’éclatante trompette naturelle, symbole divin, de Patrick Pagès, ou encore la viola da spalla (viole d’épaule) de Daniel Bayle.
Le festival 2016, qui a vu se combiner toutes les voies (toutes les voix) du concerto, s’achève sur la participation de tout le public au choral final de la cantate. Une communion qui fait chaud au cœur.
Vive l’édition 2017 !