Festivals

Bach en chantant

Lorsque les échos de la fête se sont dissipés, les souvenirs récents refont surface. Pour la septième fois, toute la Ville rose a vibré aux accents de Passe ton Bach d’abord. La folie initiale de cette généreuse entreprise de rassemblement des publics les plus divers autour d’un compositeur universellement aimé a réuni les foules les plus hétéroclites et les plus chaleureuses. Et notamment une proportion considérable de jeunes et même de tout jeunes. Cette manifestation, devenue incontournable, rapproche les spectateurs au point de déclencher tout naturellement des discussions amicales et passionnées, de susciter un véritable lien social. La transhumance que provoque cette multiplicité de mini-concerts dans les lieux les plus incroyables de la ville s’accompagne d’une découverte ou d’une redécouverte de son patrimoine. Passe ton Bach d’abord regonfle les énergies, bref, donne du bonheur !

L’Ensemble Baroque de Toulouse, dirigé par Michel Brun, lors de l’exécution du Requiem de Mozart, le 6 juin en la cathédrale Saint-Etienne – Photo Classictoulouse –

Les prémices
En guise de préparation au départ du marathon musical, la veille des débuts officiels, Michel Brun avait convoqué, pour une soirée spéciale, les candidats à la fête. Le 6 juin au soir, la cathédrale Saint-Etienne, pleine à craquer, recevait ainsi l’Ensemble Baroque de Toulouse, le chœur et un quatuor de chanteurs solistes, pour une confrontation stimulante entre Bach et Mozart. La cantate de jeunesse BWV 4 de l’un et l’œuvre ultime de l’autre, autrement dit son Requiem, se font ainsi échos au-delà des ans. La Cantate, célébrant la fête de Pâques, évolue de l’ombre de la mort à la lumière céleste. Son exécution fervente bénéficie de la couleur et des phrasés subtils de ces instruments anciens, maintenant bien assimilés par les musiciens de l’Ensemble auxquels se joignent le cornet à bouquin, les trompettes naturelles et les sacqueboutes, notamment jouées par quelques instrumentistes de l’Orchestre du Capitole.

Dans l’exécution du Requiem de Mozart, la contribution des pupitres des vents, admirablement tenus, confère un charme, un fruité sonore riche et raffiné, grâce au retour vers l’instrumentation originale issue de l’époque baroque : le cor de basset, en lieu et place de la clarinette moderne, la douçaine plutôt que le basson moderne, et de nouveau la trompette naturelle et la sacqueboute. Le solo de sacqueboute du Tuba Mirum, remarquablement phrasé par David Locqueneux, représente un bel atout. Michel Brun mène l’œuvre avec l’énergie et la ferveur qu’elle requiert. En symbiose avec l’orchestre, le chœur joue un rôle moteur essentiel, de l’expression de la douleur, voire de la terreur, à celle de la transfiguration par la foi. Sarah Szalkmann, soprano, Yohan Arbona, contre-ténor, François Rougier, ténor et Laurent Bourdeaux, basse, les quatre chanteurs solistes, mêlent habilement leurs commentaires au tissu orchestral.

La présentation du festival, le 7 juin dans la cour du CROUS – Photo Classictoulouse –

Les grandes rencontres
Les mêmes solistes participent, au soir du premier jour, dans le mythique cloître des Jacobins, à la célébration du Magnificat du héros de la fête. Le très beau chœur Archipels, l’atelier vocal des éléments, anime cette interprétation électrisante, généreuse, que Michel Brun et son Ensemble Baroque délivrent avec une inépuisable énergie. A la panoplie des instruments anciens viennent se joindre les hautbois baroques aux belles sonorités fruitées. On admire de nouveau les participations individuelles autant que la ferveur collective. En particulier une mention spéciale doit être décernée au ténor solo pour la vigueur de son intervention héroïque dans le Deposuit.

Ce soir-là, l’engouement du public est tel, son enthousiasme si communicatif, que malgré le retard inévitable, les musiciens se doivent de redonner le chœur d’entrée de l’oratorio. Signalons tout de même que ce même chœur d’entrée, également bissé, servait d’ouverture à la présentation de l’édition 2014 du festival, dans la cour du CROUS en début d’après-midi du samedi 7 juin. Bravo donc au vaillant trio de trompettes naturelles dont la résistance fait plaisir à entendre !

Le très festif “Domino musical” déambulant le long des quais de la Garonne

– Photo Classictoulouse –

Et pour remonter encore un peu le temps de ces débuts de festival, saluons bien bas l’idée du « Domino musical », cette chaîne musicale en forme de farandole qui propagea, tout au long des quais de la Garonne, de la Daurade à la place du Capitole, le thème immuable d’une des célèbres Gavottes de Johann Sebastian, thème chanté à tue-tête sur de joyeux « doubidoubidou» par une foule itinérante et enthousiaste.

Le thème de cette édition baptisée « Chante Bach » a suscité de multiples interventions vocales, aussi bien individuelles que collectives. Soulignons l’originale contribution du chœur A Contretemps, dirigé par Guy Zanesi, avec du Bach certes, mais habilement travesti et varié, chanté mais aussi astucieusement spatialisé.

Et puis la prestation de l’ensemble vocal britannique Voces 8 a légitimement enchanté un public enthousiaste et pléthorique.

N’oublions pas la multitude des inventions musicales autour de Bach et prenant Bach pour prétexte, qu’il n’est pas possible de détailler ici. Elles traduisent fondamentalement l’incomparable source d’inspiration que constitue l’œuvre d’un tel génie, souvent qualifié de père fondateur de notre musique occidentale.

Yasuko Uyama-Bouvard et son pianoforte en la chapelle des Carmélites

– Photo Classictoulouse –

Une précieuse pépite
En marge des fastes choraux et instrumentaux, la présentation du « petit » récital de Yasuko Uyama-Bouvard marquera les mémoires. Sur son magnifique pianoforte de Christopher Clarke, dans l’intimité chaleureuse de la chapelle des Carmélites, la claviériste au jeu si sensible nous immerge dans le monde rare et raffiné du deuxième fils de Bach, Carl Philipp Emanuel (C. P. E. pour les intimes). Deux pièces étonnantes de fantaisie, d’humour, de pure beauté, en disent long sur le talent exceptionnel de ce Bach de Berlin et de Hambourg. Elles précèdent une sonate de Joseph Haydn (en quelque sorte l’héritier de C. P. E.) dont on connait l’art avec lequel Yasuko Uyama-Bouvard s’est approprié le style et la finesse (rappelons l’admirable album CD qu’elle lui a consacré). Le jeu léger mais intense de l’interprète, son sens étonnant de la couleur et du phrasé, et en particulier ici le poids des silences formidablement expressifs, le naturel de son toucher transcendent une musique trop souvent confinée dans le pur divertissement. Une halte paradisiaque dans ce tourbillon de bonheur !

L’Ensemble Baroque de Toulouse et son choeur lors de la session de la Cantate.

Michel Brun dirige également l’assistance pour le choral final – Photo Classictoulouse –

La Cantate de la joie
Comme la jeune tradition de ce festival le perpétue depuis sa création, ce week-end de folie s’est achevé sur la répétition et l’exécution de la cantate du mois selon le principe, maintenant bien établi des Cantates sans filet. L’Ensemble Baroque, instruments et chœur réunis, ainsi que les chanteurs solistes se réunissent pour une unique répétition publique une heure trente avant d’offrir leur interprétation finale. Un retour aux sources sur les conditions vraisemblables de préparation de l’époque. Le contre-ténor Yohan Arbona, la basse Laurent Bourdeaux et le trompette solo Patrick Pagès (décidemment très sollicité au cours de ce festival) rejoignent ainsi l’Ensemble pour ce travail de construction musicale de la fameuse cantate BWV 147 « Herz und Mund und Tat und Leben » qui s’achève sur le plus célèbre des chorals de Bach, souvent traduit « Que ma joie demeure » !

Le passionnant travail d’élaboration de cette interprétation est, comme toujours, suivi avec curiosité et passion par un public si nombreux qu’il déborde des limites standard offertes par la cathédrale. Un public qui ne peut s’empêcher de saluer par une salve d’applaudissements chaque étape de cette construction. Lorsqu’enfin retentit la Cantate dans sa continuité et son intégrité, le silence impressionnant qui se fait n’est rompu que pour le choral final, entonné par toute l’assistance avec une ferveur qui donne la chair de poule.

Ainsi s’achève dans la joie cette septième édition de Passe ton Bach d’abord, dont tous les artisans, et surtout le premier d’entre eux, Michel Brun, mais aussi sa co-programmatrice Laurence Larrouy, sont longuement acclamés.

Vivement le huitième festival !

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