Festivals

Audaces bienvenues

Le fait est assez rare pour être souligné. La série des récitals au musée les Abattoirs, organisés dans le cadre du Festival Piano aux Jacobins fait souffler un esprit nouveau sur les habitudes d’écoute. Cet esprit joue sur la correspondance entre musique et arts plastiques. Chaque concert offre ainsi un programme musical en contrepoint d’une œuvre picturale, le tableau choisi restant offert à la vue des spectateurs pendant toute la durée de l’événement.

L’imagination du musicien se trouve ainsi stimulée par la référence à l’art visuel. Le 5 septembre, la pianiste lituanienne Ieva Jokubaviciute ouvrait, en l’auditorium du musée Les Abattoirs, la série de ces exercices stimulants du 32ème festival. Très impliquée dans la diffusion des musiques de notre temps, cette jeune artiste, élève de Richard Goode, se forge un répertoire particulièrement riche, ouvert sur les œuvres trop souvent négligées des ses collègues.

La pianiste lituanienne Ieva Jokubaviciute lors de son récital du 5 septembre 2011

au musée Les Abattoirs, en écho au tableau de Erró, “Moteur à explosion”

(Photo Classictoulouse)

La toile intitulée « Moteur à explosion », signée du peintre islandais Erró et datant de 1961, constitue cette fois le point de départ du voyage musical. Ieva Jokubaviciute a choisi de l’associer à un florilège de partitions datant du début du 20ème siècle. Judicieusement encadré par le piano révélateur de Debussy, le programme illustre une production riche et diverses, associant la deuxième Ecole de Vienne d’Arnold Schönberg et Alban Berg aux fortes personnalités que sont Alexandre Scriabine et Leoš Janáček.

Quatre Préludes de Claude Debussy, Les collines d’Anacapri et Voiles, extraits du premier livre, et Brouillards ainsi que La Puerta del Vino, extraits du second, ouvrent la soirée sur le jeu opulent et colorée de la pianiste qui choisit d’éclairer ces pièces d’une vive lumière. Le contraste n’est pas mince à l’écoute des Sechs kleine Klavierstücke (Six petite pièces pour piano) op. 19 de Schönberg. Obsession acérée des mouvements vifs, temps suspendu des plages d’attente angoissée, ce court cycle s’achève sur le poignant Sehr langsam, ajouté par Schönberg à l’annonce de la mort de Gustav Mahler auquel il vouait une admiration totale. Ieva Jokubaviciute lui confère l’impact sinistre d’un glas funèbre.

Nouveau contraste avec la (brève également) sonate n° 4 du mystique visionnaire Scriabine. Toute l’œuvre, tendue comme un arc, s’achemine vers une extase éblouissante au terme d’un crescendo irrésistible que l’interprète soutient avec une impressionnante intensité. La sélection de cinq extraits du très touchant Sur un chemin recouvert (ou herbeux ou moussu, suivant les traductions), de Janáček, ramène l’auditoire vers un monde plus proche, plus humble, si humain. L’émotion perce à chaque note.

La Sonate op. 1 de Berg ouvre les perspectives d’une musique nouvelle. La beauté lyrique de l’œuvre n’échappe pas à l’interprète qui en exalte avec ferveur la grandeur dramatique. Le retour à Debussy, avec L’Isle joyeuse, sonne comme l’arrivée du voyageur après un long périple…

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