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Au cœur de l’émotion

Le retour de Stephen Kovacevich dans le cloître des Jacobins pour ce 32ème festival de piano célébrait, le 16 septembre dernier, les deux compositeurs qui accompagnent depuis toujours ce grand musicien. Son intime familiarité avec les œuvres majeures de Beethoven et Schubert font du pianiste américain un interprète privilégié de ce répertoire exigeant.

Certes, Stephen Kovacevich, parvenu au sommet de son art, n’a plus rien à prouver. Il aborde pourtant ces partitions sublimes avec une fraîcheur et une spontanéité qui se nourrissent de cette profonde connaissance. Il choisit ce soir-là d’établir un sublime dialogue entre deux des sonates les plus introspectives que le romantisme nous ait léguées, la fameuse 31ème, op. 110, de Beethoven, et l’ultime D 960 de Schubert op. posthume. Deux chefs-d’œuvre absolus de toute la musique.

Le pianiste américain Stephen Kovacevich lors de son récital du 16 septembre 2011

de la
32ème édition de Piano aux
Jacobins (Photo Jean-Claude Meauxsoone)

Néanmoins, le pianiste ouvre son récital sur quatre des Six Bagatelles de l’opus 126, de Beethoven, un concentré de finesse et de légèreté. La clarté du toucher, la délicatesse de l’expression illuminent ces pages brèves, mais si touchantes même si elles affectent un détachement souriant.

La sonate n° 31, l’avant dernière à laquelle Beethoven confie ses tourments et ses espoirs, représente un miracle d’invention et d’intensité expressive. La forme semble imaginée, conçue uniquement en fonction du message qui s’impose au compositeur. Stephen Kovacevich aborde le Moderato cantabile comme on hésite à franchir une porte vers un monde inconnu, un monde crépusculaire. Sa vision, d’une extrême sensibilité, se déroule dans la continuité des trois mouvements. Il adopte ici le ton de la confidence, fuyant toute démonstration digitale intempestive, comme pour prendre à témoin chacun de ses auditeurs. L’émotion est à son comble lorsque s’élève le fameux thème de la fugue, évocation d’une aube consolatrice qui finalement s’épanouit dans une aveuglante lumière. Du grand art !

Autre chef-d’œuvre légué en héritage, la sonate n° 23 D 960 de Schubert se vit comme un voyage au long cours. Le temps suspendu ne s’écoule plus. Ici aussi, la méditation reste du domaine de l’introspection. Il semble que Schubert explore les méandres les plus secrets de l’âme et du cœur. L’interprète pénètre ce monde de douleur et de douceur sur la pointe des notes. Le vaste mouvement initial, Molto moderato, touche au plus profond de la sensibilité. L’intensité des silences donne le frisson. La noirceur de l’Andante sostenuto conserve son sens du secret. La confidence, toujours digne, n’y est jamais larmoyante. Après la grâce légère de l’Allegro vivace, sourire passager, le final, Allegro ma non troppo, conduit de la nostalgie fragile vers une coda tourbillonnante, comme pour s’étourdir avant la fin du voyage. L’interprète délivre son message dans la continuité du discours, avec un naturel, une vérité expressive faite de simplicité et de finesse. Tout est accompli…

Le bis offert par Stephen Kovacevich semble prolonger le discours de Schubert. La Sarabande, extraite de la 4ème Partita de Johan Sebastian Bach, apporte la paix et la sérénité à la fin du voyage.

Notons l’hommage rendu par Stephen Kovacevich à celui qui a préparé et accordé son piano de si belle manière, François Petit. De tels remerciements sont rares et témoignent d’une belle conscience de la part d’un tel artiste.

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