Avec Golaud, le baryton grec Tassis Christoyannis fait des débuts triomphaux sur la scène du Capitole. Alors qu’il vient tout juste d’être nommé directeur artistique du Théâtre Olympia d’Athènes, cet artiste continue de développer une carrière internationale au plus haut niveau. Sans oublier ses enregistrements du répertoire français.
Rencontre avec un amoureux de la langue de Molière.
Classictoulouse : Vous avez fréquenté plusieurs troupes dans votre carrière. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Tassis Christoyannis : Effectivement j’ai fréquenté deux troupes, celle de Düsseldorf et celle de l’Opéra d’Athènes, pour laquelle je travaille toujours.
Votre voix de baryton vous permet d’aborder un large panorama de styles. Cela dit, quel est votre répertoire de prédilection ?
Ma réponse ne peut être figée dans le temps. Au début de ma carrière et à vrai dire pendant longtemps, ce fut le répertoire verdien car pour un baryton c’est un véritable paradis. Aujourd’hui ma voix naturellement s’est assombrie et je chante Wozzeck, Golaud, Iago, Scarpia. Reconnaissons aussi que les rôles de baryton offrent des opportunités de compositions dramatiques exceptionnelles.
Bien que d’origine grecque, votre français est parfait…
J’ai étudié pendant près de dix ans à l’Institut français d’Athènes. Mon français résulte aussi de mes nombreux engagements dans des théâtres de votre pays. Je souhaite à ce titre remercier ici mon agent René Massis. Ce n’est pas tout, car les enregistrements que j’ai la chance de faire concernent beaucoup le répertoire français. Je suis extrêmement reconnaissant envers Benoit et Alexandre Dratwicki, directeurs artistiques du Centre de Musique Baroque de Versailles et du Palazzetto Bru Zane pour leur aide précieuse. A titre d’exemple je viens de graver le rôle-titre de Werther pour cette dernière institution. C’est la version écrite par Jules Massenet pour Mattia Battistini, un chanteur qu’il admirait. A ces occasions je travaille beaucoup la prosodie et la couleur de votre idiome. J’ai la chance de maîtriser cinq langues auxquelles je souhaiterais en ajouter quelques-unes de plus mais je n’ai pas vraiment le temps, d’autant que je suis toujours étudiant à l’Université d’Athènes en philosophie et en théologie.
Venons-en à ce Pellés et Mélisande. Comment s’est passée votre rencontre avec Christophe Ghristi sur cet opéra ?
A vrai dire, je ne sais toujours pas où ni dans quel rôle il m’a entendu mais la proposition m’est venue directement par mon agent. Le plus important a été notre première rencontre car nous avons immédiatement été en confiance mutuelle tous les deux. J’ai de suite compris combien Christophe Ghristi connaissait et aimait les chanteurs et le chant.
Est-ce la première fois que vous chantez le rôle de Golaud dans une production scénique ?
En fait non. Il y a un an environ, nous devions chanter Pelléas et Mélisande pour une tournée en version concert avec l’Adam Fischer Opera Company. Finalement le spectacle a été monté avec décors et costumes. Nous l’avons donné à Budapest, Spoleto, Hambourg et Vicenza, dans la mise en scène de Marco Gandini. Et cela m’a donné encore plus envie de chanter ce rôle ici. D’autant que face à de pareils chefs-d’œuvre l’approfondissement des personnages n’est jamais achevé.
Que nous raconte ce personnage dans un opéra fortement imprégné de symbolisme ?
Tout dépend de l’artiste qui l’interprète. Très souvent Golaud est représenté comme un homme violent. Cela peut se comprendre si le chanteur est un véritable géant, alors il peut donner à voir et à entendre de véritables excès de colère. Clairement ce n’est pas mon cas. Et à tous les points de vue ! Pour moi, Golaud est un homme qui n’arrive pas à résoudre ses difficultés émotionnelles. Ce qui le rend fou, le détruit et le déstabilise, c’est le fait de ne pas comprendre ce qui se passe autour de lui et en particulier ce que fait et pense Mélisande. Golaud est un homme qui aime maîtriser son environnement et cette fois ce n’est pas le cas. S’il en arrive à tuer Pelléas, ce n’est pas qu’une question d’honneur, c’est surtout parce qu’il ne peut vivre dans l’incertitude. Il subit les événements et achève l’opéra en répétant par deux fois : Ce n’est pas ma faute. C’est le personnage le plus humain de cet ouvrage, les autres sont de véritables archétypes. D’ailleurs c’est Golaud qui évolue psychologiquement le plus au cours de l’histoire.
Pour parfaitement incarner et chanter Golaud, quelles sont les qualités indispensables à déployer ?
C’est à travers du « son » chanté que doit se dessiner le personnage. Tous les rôles sont écrits dans des tessitures que l’on peut qualifier de confortables. Donc le sujet n’est pas dans l’ambitus requis. Pour entrer dans cet opéra la lecture de la pièce de Maeterlinck est indispensable. Cet ouvrage est tout un univers parfaitement fluide et mouvant dans lequel on ne sait jamais où il commence et où il finit. L’interpréter est une expérience unique et immersive.
On fait souvent le parallèle entre cet opéra et Tristan et Isolde de Richard Wagner
C’est vrai dans la trame de l’histoire mais la comparaison s’arrête là car l’expression de l‘amour française et allemande sont bien différentes, tout comme la musique de Debussy et celle de Wagner.
Si un interprète du passé est une référence pour vous, ce sera lequel ?
Lorsque j’étais en troupe à Düsseldorf, j’ai chanté le rôle de Pelléas. Dans ma prime jeunesse cet opéra est aussi celui qui m’a le plus immédiatement interpellé. Donc je le connaissais tout de même un peu. Cela dit et pour répondre exactement à votre question, oui, j’ai beaucoup écouté deux enregistrements, celui dirigé par Roger Desormière avec Henri Etcheverry et celui conduit par Jean Fournet avec Michel Roux. Il y en a d’autres bien sûr, mais ceux-là sont pour moi très importants. Sans vouloir les imiter, j’espère qu’ils retrouvent un écho dans mon interprétation.
Votre répertoire et vos enregistrements le prouvent, vous êtes amoureux de la mélodie française. Quels plaisirs vous donne son interprétation ?
C’est un double plaisir, celui de la musique et celui de la langue française. Chez moi, lorsque j’étais enfant, j’entendais beaucoup de chanteurs tels que Piaf, Aznavour, Montand. J’ai grandi avec ces chansons divinement interprétées dans ma tête. Nous ne sommes pas loin du monde de la mélodie.
Vous venez d’être nommé directeur artistique du théâtre Olympia d’Athènes. Quels sont vos projets pour cette institution ?
C’est tout récent et très inattendu pour moi. L’Olympia d’Athènes est une salle municipale de 713 places. Bien sûr nous n’avons pas les budgets et les infrastructures de l’Opéra national de Grèce. Le répertoire de cette salle se doit d’être varié et accessible au plus grand nombre. Il y a de l’opéra, de l’opérette, du théâtre, du jazz, des concerts symphoniques, de la danse aussi, sans oublier le traditionnel folklorique. Ce qui est drôle c’est que cette salle a été, dans le temps, celle de l’Opéra d’Athènes avant la construction de l’immense bâtiment qui l’accueille aujourd’hui. A cette époque-là, mon père en était le directeur et c’est là précisément que j’ai débuté. Pour tout vous dire, lorsque la proposition m’est arrivée directement par le nouveau maire d’Athènes, par téléphone, j’étais immobilisé suite à un accident. J’avais donc le temps de réfléchir. J’ai donc interrogé plusieurs amis de la profession et tous m’ont encouragé à accepter. Je m’aperçois aujourd’hui que j’ai bien fait car le poste est très intéressant. En effet, je ne suis plus que responsable de ma petite personne mais de tout un ensemble artistique et administratif, sans oublier le public. C’est passionnant. Et je voudrais préciser que l’une de mes missions est aussi de donner leur chance à des artistes grecs, chanteurs ou compositeurs.
Et votre carrière personnelle ?
(Rires !!!) Je ne sais pas encore. Mais je vous rassure j’ai une équipe formidable sur place avec laquelle je suis en liaison permanente en vidéo ou par téléphone. C’est vraiment tout nouveau pour moi. De toute manière le deal dès le début avec le maire d’Athènes est que je ne veux pas arrêter ma carrière, et d’ailleurs lui non plus ne le souhaite pas pour une question de prestige et de renommée.
Et vos projets personnels immédiats après le Capitole ?
Tosca, deux productions de Traviata, Iphigénie en Aulide, Butterfly, Rigoletto et toute une série de récitals, voici jusqu’à la fin 2024…
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 13 mai 2024