Christophe Ghristi, directeur de l’Opéra national du Capitole est certainement le mieux à même de nous parler de l’œuvre qu’il a choisie pour inaugurer la saison 22/23 de l’illustre théâtre toulousain. Classictoulouse lui donne la parole.
Classictoulouse : Le spectacle d’ouverture d’une saison lyrique est toujours un moment magique pour le public qui retrouve souvent à cette occasion le théâtre de sa passion pour l’opéra. Après Gioconda qui inaugurait la saison précédente, voici une autre entrée au répertoire, celle de Rusalka d’Antonin Dvorak. Pourquoi ce choix et non celui d’une œuvre du grand répertoire ? En fait, l’opéra qui ouvre une saison a-t-il une fonction particulière ?
Christophe Ghristi : L’ouverture de saison est évidemment fondamentale : elle renoue le dialogue avec le public. Il faut que ce soit un chef-d’œuvre et pas une curiosité, pour emporter l’adhésion et donner un élan que l’on va maintenir pendant presque 10 mois. La Gioconda ne fait pas partie des opéras les plus joués, mais c’est un ouvrage fondamental. Et le public à Toulouse ne s’y est pas trompé la saison dernière, lui réservant un triomphe, tout spécialement dans la production incroyable d’Olivier Py. J’espère que Rusalka trouvera le même accueil. C’est une œuvre magique et sublime, essentielle dans l’histoire de l’opéra. C’est le chef-d’œuvre lyrique de Dvorak, un compositeur que nous aimons tous et par nature absolument populaire. Sa Symphonie du Nouveau monde est une des symphonies les plus jouées au monde. Et l’air de l’héroïne (l’ode à la lune) est un tube, si vous me passez l’expression. Donc cette merveille qu’est Rusalka, entrant à notre répertoire 120 ans après sa création, mérite bien qu’on lui donne cette place d’honneur ! Et avec l’équipe artistique réunie, et notamment le projet fabuleux du metteur en scène Stefano Poda, elle devrait être bien servie.
CT : Quelle relation entretenez-vous avec cet opéra ?
Ch G : Je l’aime beaucoup, tout simplement. C’est une version du conte de La Petite sirène que l’on retrouve chez Andersen notamment. Elle raconte l’histoire d’une créature des eaux qui, par amour pour un prince, va vouloir quitter son état d’ondine et devenir humaine. Tout cela se terminera très mal. Tout est merveilleux dans Rusalka : la musique, les personnages, l’histoire. On connaît la magie orchestrale de Dvorak et son génie à peindre la nature, l’eau, les forêts… Et puis son génie mélodique… Et il y a de tout dans Rusalka, de la comédie, du fantastique, de l’amour, du drame… Oui c’est vraiment un chef-d’œuvre pour tous les publics !
CT : A cette occasion vous nous offrez la prise du rôle-titre de la grande soprano Anita Hartig. S’est-elle imposée à vous dès que vous avez pensé à monter cet ouvrage ?
Ch G : J’ai pensé à Anita assez rapidement en effet. C’est, dans ma tête, exactement la voix et la personnalité qu’il faut. Elle n’est pas tchèque mais roumaine et a cette sensibilité et ce pathos d’Europe centrale. Ma demande est venue au moment exact où elle voulait aborder le rôle.
CT : Quelles sont les difficultés de Rusalka pour réunir son casting ?
Ch G : Faire une distribution, c’est mon métier. Ça demande avant tout une bonne connaissance des ouvrages. Pour choisir un chanteur, il y a d’abord l’adéquation de sa voix aux exigences du rôle. Mais après il y a quelque chose de plus mystérieux et apparemment indéfini, c’est la sorte d’énergie que demande un rôle. Parfois, un chanteur peut avoir la voix d’un rôle mais je ne l’imagine absolument pas dedans. Ou l’inverse. Tout cela est une longue alchimie. Parfois je sais immédiatement à qui je veux confier tel rôle, parfois le cheminement est plus long… Dans ces cas-là, la chose m’occupe jour et nuit jusqu’à ce que j’aie trouvé…
CT : Vous avez enchaîné la saison passée des salles combles, que ce soit pour Carmen, Platée ou Le Barbier de Séville. Quel est le profil de la billetterie en ce début de saison car il semble que le public se décide aujourd’hui un peu au dernier moment ?
Ch G : La billetterie marche très bien. Les abonnements sont en progression, même sur la saison 19-20 qui n’avait pas encore été affectée par le Covid. J’en suis d’autant plus heureux et soulagé pour notre institution que beaucoup de salles connaissent de grandes difficultés, avec une fréquentation en berne. Il faut croire que nous avons fait au Capitole le travail qu’il fallait. Le ténor Jonas Kaufmann a publié récemment une tribune où il se désole que les salles des grands opéras soient vides et où il dit que ces maisons n’ont pas assez pensé à leur public. Je me permets de dire que je ne pense justement qu’au public ! Et je suis reconnaissant qu’il le manifeste ainsi en retour. Je crois sincèrement que l’opéra est une forme d’avenir, par son impact de spectacle total, mais il faut en respecter l’identité, les règles et justement le public. J’ai été enchanté du succès public fabuleux de Platée, qui bousculait les codes de la représentation, mais qui le faisait justement avec humour et un amour fou du spectacle vivant.
CT : La saison dernière a été marquée par des prises de rôle au plus haut niveau, Marie Adeline Henry et Catherine Hunold pour Jenufa, Stéphane Degout et Sophie Koch pour Wozzeck, entre autres, mais également par la découverte de jeunes interprètes tels que les ténors Mario Rojas et Petr Nekoranec. Est-ce en filigrane le profil de votre direction ?
Ch G : Un des profils sans doute… Il est vrai que la programmation du Capitole est, je crois, profondément originale. En tout cas, on n’y voit pas les mêmes choses qu’ailleurs. Mon expérience me protège des modes, des impostures, des noms que vous voyez tout d’un coup partout sans comprendre pourquoi. Vous parlez de deux jeunes ténors entendus la saison passée. Eh bien, reparlons bientôt de Piotr Buszewski qui chante le Prince dans Rusalka, de Liparit Avetysian et Azer Zada qui alterneront dans La Bohème ou de Amitai Patti dans Alfredo… Quant aux prises de rôles, il y en aura légion cette saison : Anita Hartig en Rusalka, Vannina Santoni et Anaïs Constans en Mimi, Karine Deshayes en Comtesse des Noces, Sophie Koch et Nikolai Schukoff pour Tristan et Isolde, Nicolas Courjal en Mefistofele… Entre autres !
CT : Il est clair qu’une troupe « virtuelle » est en train de se constituer au Capitole, des chanteurs, metteurs en scène et chefs d’orchestre de toutes générations revenant régulièrement sur notre scène. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ch G : Une troupe, une famille, je ne sais comment dire. La dernière manifestation de cet esprit de famille est le remplacement de la Sacristine par Catherine Hunold, qui a appris ce rôle énorme en tchèque en 15 jours. Et elle y était phénoménale. Elle l’a osé, parce qu’elle connaît la maison et y est en confiance. Elle savait qu’elle serait portée et couvée avec amour. Mais cette famille respire sans cesse et s’enrichit de nouveaux arrivants. Elle n’est en aucun cas fermée sur elle-même.
CT : Un nouveau chef du Chœur et de la Maîtrise du Capitole vient d’être nommé, succédant ainsi à Alfonso Caiani…
Ch G : Il s’agit de Gabriel Bourgoin, jeune et talentueux chef de chœur qui nous a rejoint l’an passé. Formé aux CNSM de Paris et Lyon, il a déjà une grande expérience, même si c’est la première fois qu’il est attaché à un théâtre. Les premiers concerts qu’il a donnés avec le chœur étaient remarquables et nous ont encouragé à lui confier ce magnifique ensemble de 41 chanteurs.
CT : Entre les problématiques de genre, de black face, de productions écoresponsables, on a un peu l’impression que le métier de directeur d’un théâtre, lyrique ou pas, devient de plus en plus complexe…
Ch G : Complexe sans doute, mais j’adore mon métier. La question environnementale est fondamentale et elle est prise très au sérieux par notre directeur technique Rémi Vidal. Nous avons notamment un partenariat avec la société Artstock, implantée en Haute-Garonne, dont la spécialité est le recyclage des matériaux de théâtre. Ils parviennent à réutiliser 90 % des matériaux que nous leur confions. Nous avons le même souci pour les papiers et les encres que nous utilisons pour nos publications. D’autre part, nous utilisons au maximum nos stocks d’accessoires et de costumes. Chez nous, quasiment rien ne se perd et tout se transforme.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 16 septembre 2022