Entretiens | Opéra

« Quand les planches sont chaudes il ne faut pas les laisser se refroidir »

Ils viennent du music-hall, un univers où ils sont plus connus sous le pseudo Shirley et Dino. Les voilà tenant en mains la partition de Platée, un opéra-ballet bouffon du compositeur Jean-Philippe Rameau.  Comment ce couple célèbre faisant rire toute la France s’est-il intégré dans l’univers hyper codifié de l’opéra baroque ?

Rencontre

A quelques heures de la présentation au public de Platée, quel sentiment domine chez vous ?

Shirley :  La générale s’est très bien passée, nous sommes non seulement rassurés mais très heureux. Le spectacle a été reçu je crois au-delà de nos espérances.

Dino : Les répétitions se sont hyper bien déroulées, tout le monde avez le désir de reprendre. Il y avait beaucoup d’enthousiasme pour arriver enfin au bout de ce projet largement reporté pour cause de Covid.

Comment avez-vous fait connaissance avec l’art lyrique ?

S : Nous faisons du music-hall depuis toujours. Hervé Niquet est venu voir l’un de nos spectacles : Les Caméléons, dans lequel nous nous amusions de tous les styles théâtraux, du Boulevard à Shakespeare.IL nous a rencontrés à la fin du spectacle et nous a proposé de mettre en scène un opéra. Et Gilles a dit oui. De suite.

D : Et voilà comment nous nous sommes retrouvés à Montpellier pour la mise en scène du King Arthur de Purcell. On a écouté l’œuvre et nous nous sommes laissés porter par nos émotions, nos réactions, puis nous les avons traduites dans notre travail.

S : Hervé Niquet souhaitait/voulait notre univers et donc nous n’avons pas regardé un seul dvd de cet opéra. Sinon sa démarche ne servait à rien.

Platée n’est pas votre première production lyrique. Parlez-nous de vos expériences passées en la matière.

D : Nous avons monté également La Belle Hélène et La Fille du Régiment.

S : Ainsi qu’un ballet : La Belle au bois dormant de Hérold sur une partition retrouvée par la Fondation Bru Zane. Hervé nous a proposé de monter ce ballet mais de manière humoristique.

Le Roi Arthur de Purcell et Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier appartiennent également au répertoire baroque, tout comme Platée. Cet univers très codé musicalement, vocalement, dramatiquement, nous vous a pas fait peur ?

D : Pour nous c’était très intéressant car nous mettions véritablement un pied dans le vide. Nous ne connaissions rien de cet univers musical et théâtral. A vrai dire nous n’avions un rapport à l’opéra que fragmentaire. Clairement nous étions vierges dans le domaine. Nous avions mis en scène auparavant une comédie musicale : Le Soldat rose. C’est tout.  Et puis nous nous sommes dits, si çà marche tant mieux, sinon ben tant pis, nous retournerons « chez nous » et puis voilà. Ce n’était pas plus compliqué.

Quel a été votre premier contact avec Platée ? C’est un ouvrage tout à la fois comique et cruel. Qu’en avez-vous fait ?

S : Nous avons d’abord écouté attentivement la musique, nous nous sommes immergés dans la partition. Puis je me suis beaucoup renseignée sur la mythologie romaine. J’ai beaucoup lu sur le sujet car je voulais comprendre ce que Rameau avait voulu dire. Le principe est que pour pouvoir détourner quelque chose il faut la posséder par cœur. Les clowns font pareils, pour arriver à faire rire, il faut qu’ils connaissent bien les ressorts.

D : Nous travaillons sur Platée depuis 2017. Pas tous les jours 24h/24h mais très, très souvent. Nous avons beaucoup discuté avec Hervé car même si nous voulions amener Platée dans notre univers il fallait impérativement préserver l’œuvre. C’est de la dentelle.

Les représentations de cette production ont été annulées par la pandémie alors que tout était prêt. Comment réintègre-t-on ce travail et y avez-vous apporté des modifications ?

D : Oui, sur notre parcours personnel dans l’œuvre. Nous avions prévu une intervention lors du banquet dont nous étions les traiteurs, et en fait nous l’avons supprimée. Mais rien d’autre. D’autant qu’à deux solistes près, tous les autres artistes avaient appris déjà notre mise en scène.

Votre expérience du music-hall vous aide-t-elle dans la mise en scène de l’opéra ?

D : Vous employez le mot music-hall et je vous en remercie, car tout à l’heure vous avez parlé à notre égard de stand up.  Cette appellation n’est pas conforme à notre activité. Nous appartenons à l’univers des clowns, des Branquignols, de Charlot, de Keaton, des Fratellini, de la comédie italienne, de Jerry Lewis. En fait c’est ce qui a intéressé Hervé.  Pour en revenir à votre question, effectivement notre expérience music-hall nous a appris que lorsque nous « tenons » le public il ne faut plus le lâcher. Et à l’opéra il y a souvent des entractes. Pour Platée, il n’y en aura pas. Le spectateur va rester dans notre univers pendant deux heures non-stop. C’est une question de rythme. Quand les planches sont chaudes il ne fait pas les laisser se refroidir.

Comment avez-vous travaillé sur Platée ?

D : D’abord dire que nous avons travaillé à quatre. Nous deux, ok, mais aussi Hervé pour la direction musicale et Kader Belarbi pour la partie danse. Nous avons formé un vrai quatuor. Concernant le rapport aux artistes, c’est plutôt Corinne qui les dirige. Et franchement il vaut mieux car je ne suis pas sûr de savoir dire les choses comme il faut tout le temps…

S : A 90% lorsque nous sommes arrivés sur cette production, tout était dans notre tête, avec la précision d’un véritable story board.

D : Lorsque nous rencontrons pour la première fois un casting, il nous appartient également de déceler jusqu’où on peut aller avec un tel ou une telle, leur potentiel comique et dramatique. C’est un travail d’approche très minutieux et délicat à mener.

Vous semblez avoir pris goût au monde de l’opéra. Finalement qu’aimeriez-vous qu’il vous soit proposé en termes d’ouvrages lyriques à mettre ne scène ?

D : L’art lyrique est magnifique. Nous nous en rendons compte à présent que nous y sommes étroitement liés. Bon, cela dit, je trouve qu’il y a beaucoup de monde pour un opéra et je dois reconnaître que si Corinne n’était pas là, j’aurais du mal car je suis un lent, j’ai besoin de m’isoler pour penser à mille bêtises. Pour réfléchir j’ai besoin de liberté, d’air et d’espace et surtout pas de contraintes…

S : Alors que moi j’ai énormément de patience. Cela ne me pose aucun problème de faire répéter, au sens étymologique du terme. Mais je dois dire que les idées drôles, c’est Gilles qui les a.

Quel est aujourd’hui votre regard sur les artistes lyriques ?

S : Ce sont des champions du monde, des êtres exceptionnels, des sportifs de très haut niveau. Quand on est chanteur lyrique, on ne peut pas tricher. J’ai beaucoup d’admiration pour eux, ce sont de véritables bêtes de travail. Au début, nous étions « timides » et nous n’osions pas trop les faire bouger vu les contraintes vocales, mais Hervé nous a affranchis sur le sujet et nous a expliqué qu’au contraire les faire bouger raisonnablement les désinhibe des problèmes vocaux car alors ils pensent à autre chose. Et nous le vérifions encore sur Platée.

Comment avez –vous traité cette histoire qui est aussi un conte particulièrement cruel ?

S : Nous nous en sommes vite rendus compte. Et en fait c’est assez compliqué. Qu’a voulu faire Rameau en définitive ? A-t-il fait, comme vous dites, un conte cruel pour flatter la noblesse, reléguant aux oubliettes quiconque voudrait marcher sur leurs brisées ? Au contraire, Rameau fait-il en creux une critique des grands de son temps ?  A bien y réfléchir, cela dit, je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui il soit possible d’écrire quelque chose sur un pareil thème qui paraîtrait particulièrement et politiquement incorrect. Ou alors il faudrait un immense talent.

Avez-vous envi de poursuivre cette expérience lyrique ?

S : Avec Hervé oui assurément car il s’opère avec lui une vraie alchimie de pensée artistique.

D : En fait il ne faut pas nous demander de monter une œuvre déjà comique car notre apport s’en trouve de facto fortement réduit.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 mars 2022

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