Directrice générale du tout nouvel Établissement public du Capitole, Claire Roserot de Melin est arrivée au Théâtre et Orchestre du Capitole en janvier 2019. Classictoulouse l’a rencontrée sur le thème du Capitole et des chiffres particulièrement encourageants, voire élogieux, qui s’amoncellent sur son bureau. Claire Roserot de Melin ne perd pas de vue la mission de service public qui incombe à l’institution capitoline.
Rencontre.
Classictoulouse : Pouvons-nous faire un point sur les chiffres de la saison 22/23 ?
Claire Roserot de Melin : Ils sont excellents mais au-delà de ce constat, on a envie de mettre de l’humain derrière cette réussite. Pour moi, ce qui est encore plus important que des chiffres c’est de voir que le public répond présent quelle que soit la proposition que nous lui faisons. Et ça c’est le travail de Christophe Ghristi – un vrai magicien – et de l’ensemble des équipes de cette maison. Vous pouvez imaginer je pense notre joie de voir ce public applaudir à tout rompre Le Viol de Lucrèce, de voir chaque soir des personnes qui viennent à l’Opéra pour la première fois.
Quelles sont les perspectives pour la saison 23/24 ?
Elles sont plus que réjouissantes car les chiffres sont en augmentation significative. Cela dit, je tiens à souligner que nous avons toujours quelques places à la vente jusqu’au dernier moment. Les salles ne sont pas bloquées par des abonnements. La billetterie à l’unité est toujours possible pour chaque spectacle. Il ne faut pas oublier le public qui, pour certaines raisons, légitimes d’ailleurs, ne peut ou ne souhaite pas s’engager sur une saison entière.
Au sujet de l’article signé Michel Guerrin et publié dans le Monde du 7 juillet 2023, il est notamment indiqué que l’opéra est un art qui attire peu de public, notamment les jeunes de 15 à 28 ans, et qu’il est de plus en plus coûteux. Quelle est votre réflexion sur ces affirmations ?
Je tiens à souligner qu’ici 20% de notre public a moins de 27 ans. Vu depuis l’Opéra national du Capitole, les affirmations de cet article ne se justifient pas. Je ne sais pas de quelle réalité Michel Guerrin veut parler, mais ce n’est pas la nôtre !
A l’Opéra national du Capitole les jeunes sont présents et pas seulement pour le ballet, comme il est de tradition de colporter, mais pour l’opéra également, et je le redis encore, quelle que soit notre proposition. Rien n’est acquis, nous le savons, et nous travaillons tous les jours avec cela en tête. Notre action est de renforcer auprès de tout le monde et des jeunes en particulier, le désir de musique. Nous travaillons aussi sur la notion « d’engagement », de régularité de fréquentation de l’Opéra. C’est pour cela que nous avons créé un Pass Jeune de 4 spectacles pour 20€ qui permet d’installer cette habitude chez les jeunes.
Michel Guerrin affirme que cet art est de plus en plus coûteux. Je réponds que c’est la vie qui est de plus en plus coûteuse et je ne vois pas qui me dira le contraire aujourd’hui ! Nous avons la chance à Toulouse d’avoir une parfaite connexion avec nos Elus. Ils sont ravis et fiers des succès sans cesse renouvelés du Capitole. Cela ne nous empêche pas, bien au contraire, d’être extrêmement responsables dans la gestion des budgets car nous sommes, comme les autres établissements, frappés par les hausses des coûts. Quand on pilote un établissement comme le nôtre, il y a toujours des choses à repenser, mais nous y travaillons avec sérénité et en concertation avec notre tutelle. Dans nos changements d’habitudes, il y a le souci désormais permanent de travailler en coopération et en partenariat. Nous sommes un grand pôle de production de spectacle, qui permet de coproduire avec d’autres institutions. Aujourd’hui, toutes les productions fabriquées au Capitole voyagent dans d’autres maisons !
Après, il ne faut jamais oublier que nous sommes une « entreprise de main-d’œuvre » dont 80% des dépenses concernent les salaires, artistiques compris, à la fois des équipes permanentes et invités. Entreprendre de réduire cette partie, ce serait toucher directement le volume d’emploi…
L’Opéra national du Capitole est cité au même titre que ceux de Lyon, Montpellier et Bordeaux, comme dénonçant les baisses de subventions de la Ville et de l’Etat…
A Toulouse, c’est faux ! Nous n’avons jamais dénoncé, qui que ce soit d’ailleurs, une baisse de subvention de Toulouse Métropole car ce n’est tout simplement pas vrai. Comme je l’ai dit, nous sommes très soutenus par notre tutelle. Quant à la subvention de l’Etat, elle est en augmentation selon les accords conclus avec le Ministère suite à notre labellisation en tant qu’Opéra national. Je ne comprends toujours pas comment nous avons pu être cités dans cet article !
Cet article a malgré tout un aspect positif car il a fait réagir et créer des débats ! Pour le coup c’est une bonne chose et une absence de réaction aurait été inquiétante.
Quelques affirmations de ce papier se vérifient malheureusement encore dans certaines villes, mais pas à Toulouse, je le redis encore. Après, tout dépend du rôle qui est assigné, dans la politique culturelle locale, au théâtre lyrique lorsque la Collectivité à la chance d’en avoir un. Il est clair que si on a l’ambition de jouer les grandes œuvres du répertoire, cela a un coût. Mais raisonner en coûts, c’est omettre que ces moyens permettent de conduire une politique éducative, sociale, d’inclusion, de cohésion auprès d’une grande diversité de publics et sur un vaste territoire. Notre mission est très large !
Dans une société, il faut bien le dire, aujourd’hui complétement fracturée, nous cherchons à réunir les publics autour d’émotions collectives, à (re)créer un véritable ciment sociétal autour d’une expérience – l’opéra – commune. C’est à cela que nous servons, c’est à cela aussi que servent les grandes œuvres du répertoire et c’est la force de notre maison.
Dans ce même article, il est affirmé que plus un spectacle a du succès plus il creuse son déficit…
Ce n’est pas le succès qui crée le déficit ! Mais il est vrai que dans la plupart des cas, le coût d’une représentation est supérieur aux recettes qu’elle génère, donc plus l’on joue, plus le déficit augmente. Je le rappelle, nous sommes une entreprise de main-d’œuvre qu’il convient de rémunérer évidemment pour chaque spectacle. Par contre, à titre de contre-exemple, le théorème ne se justifie pas pour Les Pêcheurs de perles car il y a peu de solistes invités, quatre seulement, c’est l’œuvre qui est ainsi.
Si la billetterie ne couvre pas les coûts « invités », c’est aussi parce que nous veillons à garder un tarif de billetterie accessible (entre 10€ et 113€ pour un opéra), c’est un élément important de notre mission de service public, permis par les subventions.
Que pensez-vous des théâtres qui tarifent en fonction des stars qu’ils affichent ?
Tout d’abord que ce n’est pas très « service public ». Certains évènements ponctuels peuvent justifier un changement de tarification mais pour moi l’important est de garder une fourchette de prix complète. La tarification ne doit pas rendre impossible à quiconque l’accès au Théâtre. L’ouverture à tous est fondamentale. Je rappelle que la subvention publique est là pour ça.
En conclusion, que se passe-t-il alors à l’Opéra national du Capitole ?
La présence de Christophe Ghristi et de ses options expliquent beaucoup de choses, le travail de toute une maison aussi. Je dois ajouter que si nous ne sommes pas dans un certain moule délétère, c’est aussi le résultat de différentes constructions qui s’emboîtent à merveille : artistique, éducative, sociale, d’image sur le territoire. Il ne vous a pas échappé que l’Opéra national du Capitole respecte son public et que ce dernier est fier d’en parler et même de s’en revendiquer.
Remarquez, combien, dans le temps et l’histoire de Toulouse, et quel que soit le bord politique, la Ville a toujours été présente auprès de notre institution. C’est un choix fort. Il ne faut pas oublier les grandes figures qui dans le passé l’ont portée à des sommets, je pense bien sûr à Nicolas Joel, Michel Plasson, Tugan Sokhiev… Et le public… Certes j’ai exercé surtout dans le nord de la France, mais la ferveur du public capitolin m’a littéralement submergée d’émotion lorsque je suis arrivée. Quel enthousiasme ! Quelle chaleur ! Tout cela contribue à l’alchimie toulousaine…
Puis-je ajouter une réflexion très personnelle ? L’expérience lyrique est décalée par rapport à notre temps qui vit de zapping et de momentum très courts. Il faut prendre l’habitude de la durée d’un spectacle lyrique. Celui-ci réclame une certaine vigilance d’esprit. Il faut laisser tomber son téléphone, s’immerger dans la proposition pour en savourer toute l’essence. Il doit nous faire du bien, nous donner envie de le partager et d’y revenir. Notre société en a grand besoin… en tout cas c’est ce à quoi nous croyons au Capitole !
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 22 septembre 2023