Entretiens | Opéra

« Nous avons repris tout simplement là où nous nous étions arrêtés ! »

Les reprises actuelles de Platée de Jean-Philippe Rameau au Théâtre national du Capitole, annulées il y a deux ans en plein cœur des répétitions pour raison sanitaire, sont l’occasion de retrouver l’un des plus brillants représentants du chant français : le ténor Mathias Vidal. Il endosse aujourd’hui le tôle-tire de cet opéra, un rôle travesti puisqu’il s’agit d’une grenouille tombée amoureuse de…Jupiter ! Une géniale tragi-comédie.

Rencontre.

Classictoulouse : Nous nous sommes rencontrés en plein cœur de la pandémie le 12 février 2021 lors de votre enregistrement à la Halle aux Grains de La Princesse jaune de Camille Saint-Saëns. Quel a été votre parcours depuis cette date ?

Mathias Vidal : De mémoire, nous étions soumis à un couvre-feu en ce mois de février 2021, les spectacles n’étaient toujours pas d’actualité. Et j’enchaînais alors les enregistrements : La Fille de Mme Angot de Lecocq (Paris), le Printemps de la Mélodie avec Fauré (Paris), Motets de Rameau et Mondonville (Versailles), Scylla et Glaucus de Leclair (Varsovie). Puis les théâtres ont ouvert à la fin du printemps et j’ai commencé par des concerts (Tours, Dijon, TCE).

L’été dernier a été occupé entre des répétitions pour la saison à venir et des concerts dans les festivals d’été à nouveau possibles, le public étant immédiatement au rendez-vous après une reprise timide en mai/juin. En début de saison, j’aurais dû faire mes débuts à Covent Garden dans Les Indes Galantes, mais la production a été annulée et je me suis finalement trouvé libre pour aller chanter Abaris dans Les Boréades de Rameau et Ernesto dans Don Pasquale à Oldenburg ainsi que de nombreux concerts.

Est arrivée alors le mois de décembre avec un regain des contaminations, l’apparition du nouveau variant et la crainte des annulations. J’étais alors à Lausanne pour chanter Léopold dans L’Auberge du Cheval Blanc pour les fêtes de fin d’année. Une attention de tous les instants nous a permis de jouer toutes les représentations. En attendant de rejoindre Toulouse en ce mois de mars 2022, encore de nombreux concerts mais la vigilance était de mise durant cette période hivernale.

CT : Christophe Ghristi vous a confié le rôle-titre, une première dans votre répertoire, pour cette nouvelle production de Platée de Jean-Philippe Rameau qui devait être donnée en mars 2020. Tout était prêt et nous savons tous ce qu’il en est advenu.  Comment avez-vous réinvesti cette production, deux ans après ?

MV : Nous avons repris tout simplement là où nous nous étions arrêtés ! C’est-à-dire, sur le plateau. Il y a quasiment deux années jour pour jour, nous nous étions retrouvés pour cette première journée de répétition sur la scène du Capitole et le pays se préparait à être confiné. Journée que nous n’avons pas pu terminer. Nous préparions déjà nos valises… Alors c’est tout de même avec une immense fierté que nous tous avons repris cette aventure pour l’amener cette fois-ci à son terme.

Mathias Vidal – Photo: Bruno Perroud

CT : Le créateur de Platée n’était autre que Jélyotte, un chanteur cher au cœur des Toulousains car c’est un pur produit de l’enseignement musical de la Ville rose. Il est, suivant les documents, nommé ténor, haute-contre ou même parfois contre-ténor. Pourquoi un pareil flou et quel est votre avis quant à la tessiture experte de ce personnage ?

MV : Il est en effet ténor. Mais à l’époque on ne parlait pas de soprano, mezzo, ténor, baryton ou basse. On nommait les voix ainsi et dans le même ordre : Dessus, bas-dessus, haute-contre, taille, basse-taille.

Concernant Jélyotte et considérant le diapason de l’époque autour de 405 Hz, il était un ténor central (pas plus haut que le si bémol). Le second ténor chanté par Poirier était plus léger et montait plus haut. On garde d’ailleurs cette disposition dans l’opéra français romantique

Dans la partition de La Princesse Jaune, on retrouve encore la dénomination « Dessus » pour le chœur de femmes et non « soprani ».

Quant à l’emploi du terme contre-ténor, l’erreur peut venir de son origine étymologique anglaise ou de la voix en elle-même qui remplace les castrats d’alors. Il est à noter que la partie de haute-contre dans les chœurs étant plus élevée que celle des solistes, il était courant de demander à des voix graves féminines et des voix d’hommes très aiguës de chanter cette partie.

CT : Christophe Ghristi vous a choisi car, pour le rôle de Platée, un chanteur aussi parfait soit-il ne suffit pas. Il faut un véritable artiste, capable d’incarner également. Ici le personnage est extrêmement complexe. Comment le cernez-vous, autant vocalement que dramatiquement ?

MV : Nous sommes dans le cas d’un rôle travesti avec tout ce que cela peut impliquer dans son approche dramatique. Le personnage traverse beaucoup d’états psychologiques différents et il est finalement plus proche d’une tragédie, plus complexe sur le point des sentiments humains, qu’une comédie, plus simple à aborder sur cet aspect. Mais sur le plan vocal, le rôle ne diffère pas des autres opéras confiés à Jélyotte si on respecte un diapason convenable. Au Capitole, nous sommes à 415, un peu plus haut qu’à l’origine, ce qui amène cette petite tension qui peut être intéressante dans un opéra dit comique mais qui n’existait pas du temps de Rameau.

CT : Malgré votre calendrier très 17e et 18e siècles, Christophe Ghristi vous a proposé également la prise de rôle de Nadir dans les prochains Pêcheurs de perles au Théâtre du Capitole. Quels sont vos projets immédiats et les nouveaux rôles que vous comptez aborder ?

MV : Mes projets immédiats sont principalement des concerts et des enregistrements dans différentes œuvres de Rameau, Marais, Campra, Monteverdi… puis une reprise de Platée au Palais Garnier mais dans le rôle de Thespis cette fois-ci, et mes débuts au Festival de Salzbourg cet été pour chanter l’oratorio Abramo ed Isacco de Myslivecek en concert. Et la saison prochaine, je serai de retour à l’Opéra de Paris, puis je reprendrai le rôle de Tamino dans La Flûte enchantée, avant Nemorino dans L’Elisir d’Amore ainsi que de très nombreux concerts (notamment une Vie Parisienne à Toulouse en janvier).

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 9 mars 2022

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