Entretiens | Opéra

L’opéra …dans la peau

Les reprises de Jenufa, le chef-d’œuvre de Leos Janacek, sur la scène du Capitole, sont pour Christophe Ghristi l’occasion de nous faire découvrir le jeune ténor Mario Rojas dans le rôle de Steva. Les bras couverts de tatouages aux figures de Placido Domingo, Luciano Pavarotti et Maria Callas, ce jeune artiste a bien voulu répondre à nos questions. Découverte.

Classictoulouse : Ce sont vos débuts en Europe. Un moment j’imagine très important pour vous. Vous n’êtes pas encore connu du public français. Comment vous présenter : vous êtes mexicain, on peut parler de votre âge ou pas ?  Quand et où avez-vous étudié le chant ?

Mario Rojas : Effectivement je fais à Toulouse mes débuts européens grâce à Christophe Ghristi. Je suis né au Mexique, il y aura 29 ans dans quelques mois. J’avais 13/14 ans lorsque j’ai découvert le chant lyrique en écoutant particulièrement le récital des 3 ténors. Je les imitais pour rigoler et j’ai senti que ma voix sortait naturellement. Je passais mes journées à les copier jusqu’à ce que je n’ai plus de voix ! Il fallait que je fasse attention car ma voix changeait alors physiologiquement. J’ai ensuite étudié à Mexico, puis à San Francisco.

CT : Comment avez-vous connu l’opéra ?

MR : Clairement mon premier contact a été avec le cd des 3 ténors : Luciano Pavarotti, Placido Domingo et José Maria Carreras. Puis ce fut la découverte d’un premier spectacle avec La traviata dans ma ville de naissance, Torréon (ndlr : ville du Mexique septentrional de 700 000 habitants !) avec un ténor mexicain : Fernando de la Mora.

CT : Par quels rôles avez-vous débuté ?

MR : Au Conservatoire, le premier rôle que j’ai étudié est celui de Nemorino dans L’Elixir d’amour. Peu de temps après j’ai débuté au Bellas Artes de Mexico avec La Bohème. J’avais 23 ans !

CT : A quel type de ténor appartenez-vous aujourd’hui ?

MR : Je suis un pur lyrique et je fais très attention aux rôles que j’étudie et que l’on me propose.

Mario Rojas

CT : Quelles sont les qualités indispensables de nos jours pour faire carrière dans l’opéra ?

MR : Consentir beaucoup de sacrifices et surtout chanter sur scène, c’est à dire avoir des contrats. J’ai l’impression que les carrières commencent de plus en plus jeune. En tout état de cause, chacun suit son propre parcours. Quoi qu’il en soit, ce métier tient beaucoup de la vocation quasi religieuse. C’est un peu comme les sportifs de haut niveau, les toreros, les danseurs…

CT : IL semble que tout aille très vite aujourd’hui. Quels sont les dangers que doit affronter un jeune artiste comme vous ?

MR : Le pire des dangers est de ne pas chanter, ne pas être sur scène, ne pas avoir un bon coach en qui l’on a une totale confiance. Les études sont importantes mais le métier s’apprend sur scène, en groupe.

CT : J’imagine que vous n’aviez jamais chanté Steva. Quelle a été votre réaction lorsque le rôle vous a été proposé ?

MR : Ce fut une surprise très agréable. Effectivement je ne l’avais jamais chanté auparavant. Ce fut d’autant plus agréable que pendant les deux ans de pandémie je n’ai chanté que deux opéras : Gianni Schicchi (NDLR : rôle de Rinuccio) et Florencia en el Amazonas* (NDLR : rôle d’Arcadio)

CT : Steva est un peu plus lyrique que Laca. Quelles en sont pour autant ses difficultés ?

MR : J’ai commencé par écouter l’opéra, puis j’ai lu la partition, ensuite est venu le temps de la langue, sorte de cerise sur le gâteau ! Mais la musique est tellement belle et tellement porteuse que finalement j’ai accepté ce challenge. Le personnage est particulièrement émouvant. C’est un très beau rôle. La partie vocale est moins spinto que celle de Laca. En tout état de cause, Janacek a écrit deux partitions vraiment différentes pour les deux ténors de manière à caractériser vocalement et dramatiquement chacun d’eux.

CT : Que pensez-vous de ce personnage ?

MR : C’est un personnage universel. Nous devons reconnaitre nos erreurs, savoir les gérer. Et même si je n’ai jamais vécu aujourd’hui ce que vit Steva, je sais et je connais des personnes qui sont passées par ces situations.

CT : Quels sont vos modèles actuels ou du passé en terme de ténor ?

MR : Clairement Luciano Pavarotti, sa voix est un véritable sourire, Placido Domingo, c’est la passion permanente, Franco Corelli avec cette urgence unique dans la déclamation et cette sorte d’angoisse dans la couleur, Roberto Alagna, José María Carreras, Charles Castronovo, lui a une couleur de voix extrêmement précieuse. Une fusion de tous représente le ténor idéal (rires !!). Ce qui m’emballe chez Roberto Alagna, c’est non seulement sa voix mais aussi son tempérament. C’est un chanteur moderne. Il est important et utile d’examiner le parcours des grands ténors du passé et déterminer à quel âge ils ont abordé tel ou tel rôle lorsque l’on a à peu près le même matériau vocal. De toute manière, un artiste lyrique doit être d’abord connecté avec lui-même. Il faut qu’il soit honnête envers lui et cela s’entend dans sa voix. Le public le ressent très vite car alors la voix est le reflet de l’artiste. Aujourd’hui un chanteur d’opéra ne peut pas que chanter. Pour être un véritable artiste lyrique, il doit être capable d’être un acteur aussi bien de théâtre que de cinéma. La vie apprend à ne pas avoir peur de toutes les situations que l’on peut rencontrer sur scène : être amoureux, joyeux, heureux et malheureux, tomber et se relever.  Ainsi on peut mieux interpréter nos personnages.

CT : Quels sont vos prochains engagements ?

L’Elixir d’amour à Catania, puis Bari pour mon premier Roméo de Gounod. Heureusement que je chante mieux le français que je ne le parle ! Mais j’ai beaucoup écouté Roberto Alagna dans ce rôle. C’est un modèle de prosodie. Roméo est un rôle fabuleux. Il y aura ensuite La traviata à Nancy.

CT : Quels opéras ambitionnez-vous dans l’avenir de mettre rapidement à votre répertoire ?

MR : Rigoletto, Lucia, Faust, Bohème, Werther dans quelques années, Macbeth…

CT : Le rôle de vos rêves même si vous savez que vous ne pourrez peut-être jamais le chanter ?

MR : Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir, mais j’aimerais tant, comme tous les ténors d’ailleurs, aborder un jour l’Otello de Verdi, peut-être aussi Andrea Chénier.

CT : Dans quel rôle aimeriez-vous revenir ici ?

MR : En fait je crois que je suis tombé amoureux de Toulouse. C’est vraiment une ville très agréable et mon souhait, d’autant que les équipes du théâtre sont formidables, est d’y revenir. Alors pourquoi pas dans un opéra me permettant d’exposer davantage ma voix comme La traviata ou Roméo et Juliette. Peu importe en fait du moment que c’est dans ma voix. Et que c’est au Capitole !

CT : En dehors de votre carrière de chanteur, qu’aimez-vous faire ?

MR : Je suis un passionné de cyclisme. Je pratique ce sport mais également je regarde toutes les grandes courses de par le monde et surtout en Europe, comme le Tour de France ou le Giro en Italie et La Vuelta en Espagne, et d’autres bien sûr. Je dois dire également que je suis un aficionado de corridas. Je connais beaucoup de toreros, y compris des français comme Sébastien Castella. Un de mes amis va recevoir d’ailleurs son alternative à Nîmes prochainement. J’ai moi-même essayé… mais avec des vachettes. (Rires !!!)

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 avril 2022

*Florencia en el Amazonas est un opéra de Daniel Catàn, compositeur mexicain (1949-2011), créé en 1996.

Partager