C’est en pensionnaire du Capitole où tous les directeurs depuis des dizaines d’années l’ont invité à se produire, et qui s’en plaindrait, que la basse italienne Roberto Scandiuzzi vient chanter le premier Pimène de sa carrière. Véritable Commandeur dans sa tessiture depuis de nombreuses années, il s’impose par sa voix bien sûr mais aussi par un charisme, une présence, une aura qui balaient tout sur son passage. Un vrai, un authentique, un immense artiste !
Rencontre.
Classictoulouse : Vous avez trois opéras russes à votre répertoire : La Khovanchtchina, Eugène Onéguine et Boris Godounov, trois opéras que finalement vous avez assez peu chantés si l’on considère votre répertoire italien.
Roberto Scandiuzzi : Certes mon répertoire est italien car je suis Italien je suppose, mais j’adore le répertoire russe. J’espère que Verdi ne va pas me maudire mais mon rôle préféré est celui de Dossifeï, le chef des Vieux croyants dans La Khovanchtchina de Modeste Moussorgski.
Comment avez-vous réagi lorsque Christophe Ghristi vous a proposé votre premier Pimène ?
J’ai chanté trois fois le rôle de Boris. Pour la première fois c’était à Santiago de Chili. Puis je l‘ai chanté à Madrid et à Vienne. Mais lorsque Christophe Ghristi m’a proposé le rôle de Pimène, que je chante donc pour la première fois, J’étais fou de joie car, à cette période de ma carrière, c’est un rôle qui me convient parfaitement. Boris c’est… Boris, c’est un rôle énorme. Par contre, la ligne de chant de Pimène le ramène dans le bel canto le plus italien croyable. Sa partition permet une utilisation infinie de couleurs. Boris est dans la déclamation lyrique. Pimène doit davantage « chanter ».
C’est le seul personnage vraiment positif de cet opéra. Comment l’avez-vous appréhendé ?
Oui c’est vrai. Reconnaissons tout de même que Pimène aussi ferme les yeux sur certains événements, mais c’est un chroniqueur, c’est son travail. Je connais le rôle par cœur si je puis dire pour l‘avoir entendu des milliers de fois soit sur scène, dans les productions dans lesquelles je chantais Boris, soit au disque ou depuis la salle en tant que spectateur. Lorsque Christophe Ghristi me l’a proposé j’ai immédiatement commencé à le travailler car j’ai l’habitude de prendre mon temps. Depuis un an j’étudie donc ce rôle avec une pianiste : Nino Pavlenichvili. Bizarrement, la langue russe ne m’est pas totalement étrangère dans ma tête et pour moi elle ne représente pas de difficultés. Comme pour tout nouveau rôle, même en italien, je ne veux pas le « brusquer ». Je le laisse m’envahir petit à petit. Et pour cela il faut du temps. Mais à présent je pense que je suis prêt.
Son intervention juste avant la mort de Boris est à nouveau sous forme d’un récit, celui d’un miracle. Pourquoi ce personnage ne se manifeste-t-il que sous forme de récit ?
Parce qu’il est chargé de raconter l’Histoire. C’est non seulement son travail mais c’est aussi le but de sa vie.
La version adoptée par le Capitole est celle de 1869. En substance, qu’elle est la tessiture de Pimène dans cette version, par rapport aux autres : plus aigu, plus grave, plus sombre ?
Effectivement, dans la version de Rimski-Korsakov, beaucoup plus claire et globalement plus aigüe, le rôle de Pimène peut être chanté par un baryton-basse. Ce n’est pas le cas ici, dans la version originale, le rôle est vraiment dévolu à un organe de basse et donc parfaitement écrit pour cette voix. Elle s’inscrit idéalement dans sa structure : tessiture, couleurs, etc. Il suffit d’avoir deux octaves dans ses cordes, du fa grave au fa aigu. En racontant ses récits, Pimène doit remplir ses phrases de couleurs qui rendent la narration vivante. Vocalement c’est un défi vertigineux.
Vous n’avez pas besoin de références pour interpréter un rôle mais, dans l’absolu, quelle serait celle de votre Pimène préféré ?
C’est certainement Boris Christoff. Même dans son enregistrement il le chante très lentement car il met un poids énorme sur chaque mot, sur chaque note. Il y a plein d’autres Pimène remarquables mais Boris Christoff c’est le modèle de l’interprétation de ce rôle.
Sans dévoiler de secrets, pouvez-vous nous parler en quelques mots de la production de ce Boris Godounov, mise en scène par Olivier Py ?
Olivier Py reste fondamentalement dans le sens de l’histoire racontée par Pouchkine. Bien sûr avec un regard actuel mais on comprend que ce metteur en scène aime l’opéra en tant que genre total. Il est à l’évidence très sensible à l’art lyrique. Même si ses concepts sont très actualisés, je dois dire, moi qui ai fait cinq production différentes avec Olivier Py, qu’il ne « sort » jamais de l’œuvre et qu’il la respecte profondément. Pour ce metteur en scène, il est clair ici que l’Histoire se répète…
Quel est votre immédiat projet après ce Boris ?
C’est la création mondiale en février prochain d’un opéra de Christian Carrara (ndlr : compositeur italien né en 1977) qui s’intitule Voix d’Hébron, une magnifique aventure humaine qui met en scène un homme qui vient de perdre sa femme, une étudiante qui fait son service militaire dans l’armée israélienne et un jeune palestinien étudiant, lui aussi, en archéologie. C’est une coproduction entre l’Opéra de Metz et celui de Modène. Mais la situation internationale actuelle pose tout de même quelques questions…
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 9 novembre 2023