Entretiens | Opéra

Enfin un Idamante « ténor » et en plus rien moins que Cyrille Dubois !

Cyrille Dubois

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le ténor Cyrille Dubois a fait ses premiers pas capitolins en mai… 2023 ! Son entrée dans l’histoire du Capitole de Toulouse s’est faite au travers d’un compositeur qu’il aime entre tous : Benjamin Britten. En l’occurrence Cyrille Dubois chantait la partie redoutable du Chœur masculin dans Le Viol de Lucrèce. Ce Normand nous revient pour une prise de rôle d’envergure, la version « ténor » d’Idamante dans l’Idomeneo de Mozart. Sans trop nous avancer, nous sommes convaincus qu’il va marquer l’interprétation de ce personnage dont il possède toutes les caractéristiques autant vocales que dramatiques. Rencontre.

Classictoulouse : Le public du Capitole vous retrouve après Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten en mai 2023, pour une autre prise de rôle, celle d’Idamante de l’Idomeneo mozartien. Parlez-nous de ce personnage ?

Cyrille Dubois : Idamante est le fils d’Idomeneo. Pendant que ce dernier est parti guerroyer, il assure la régence du royaume. Or voilà que son père est annoncé perdu en mer alors qu’il était sur le chemin du retour vers son pays, la Crète. En fait, Idomeneo a passé un pacte avec les dieux, une sorte de deal. Si ceux-ci lui laissent la vie sauve, il leur accordera en sacrifice le premier être humain qu’il verra dès son retour. Et malheureusement, cet être humain n’est autre qu’Idamante, son fils. Celui-ci est promis à Electre mais il est follement amoureux d’Ilia, une princesse troyenne retenue prisonnière dans le palais crétois. Au courant du marchandage de son père avec les divinités, Idamante est prêt à donner sa vie en sacrifice. C’est une très belle histoire qui rappelle furieusement celle du sacrifice de la fille de Jephté. Mais ce livret est aussi l’écho assourdissant des relations qu’entretenait Mozart avec son père. Mais ceci est une autre histoire. Dans tous les cas Mozart traduit de la plus belle des manières tout autant la tendresse que la confrontation qui le liaient à Léopold, son père. Idamante est aussi touchant que royal. Il est vraiment de la veine des « juvéniles » qui hantent les partitions de Mozart : Belmonte, Ottavio, Ferrando, Tamino. J’ai déjà interprété tous ces rôles et avec Idamante je suis en terrain connu, en une sorte de continuité logique.

Anne Le Bozec et Cyrille Dubois à Saint-Pierre-Des-Cuisines le 24 avril 2023 – Canticles – Photo: Classictoulouse

Alors que, par la force des choses, lors de la création d’Idomeneo en 1781, la partie d’Idamante a été confiée à un castrat, Mozart l’a très rapidement réécrite pour ténor lors de sa reprise à Vienne en 1786. Puis l’habitude a été de distribuer ce rôle à une mezzo-soprano afin de retrouver plus ou moins le timbre féminin des castrats. Quel est votre réflexion sur ce sujet ?

Je trouve qu’une filiation vocale, celle du ténor, entre le père et le fils, est d’une logique imparable. La proximité entre ces deux personnages est évidente. Mais je comprends, étant donné la somptuosité du rôle, que toutes les mezzo-sopranos du monde veuillent s’emparer de cette partition. Alors, même si Mozart n’a jamais envisagé ce rôle chanté par une femme, qui pourrait les blâmer de le convoiter ? Dans tous les cas je suis très heureux de défendre ce rôle en tant que ténor, ce qui est rare en fait.

Cet opéra contient, et c’est peu courant, 4 rôles de ténor. Quelles sont les caractéristiques de chacun ?

Ils sont complètement différents. À ce sujet permettez-moi de souligner l’incroyable travail d’analyse vocale réalisé par Christophe Ghristi pour réunir cette distribution. Idomeneo est la figure paternelle, noble. Sa voix doit posséder une grande chaleur de timbre et de couleurs. Idamante réclame beaucoup de souplesse conjuguant la tendresse et la vaillance d’un héros guerrier. L’écriture d’Arbace, le confident du roi, se rapproche d’une écriture rossinienne. Quant au Grand Prêtre, il doit incarner avant tout l’autorité indiscutable.  Vraiment quatre voix différentes dont l’alchimie est délicate à réussir.

Cyrille Dubois ( Chœur masculin, debout)) et Duncan Rock (Tarquin). Le Viol de Lucrèce – Théâtre du Capitole – mars 2023 – Mise en scène : Anne Delbée – Photo : Mirco Magliocca

Quelles sont les différences d’écriture entre la version pour ténor et celle destinée à une mezzo-soprano ?

En fait c’est surtout la partition d’Idomeno qui a été réécrite vers une tessiture plus centrale afin de conserver à chaque voix une lumière individualisée.

Quelles sont les difficultés de ce rôle et quelles qualités particulières nécessite-t-il ?

Je crois que c’est le rôle le plus long de l’ouvrage. C’est un personnage qui réclame une grande endurance et une excellente gestion de nos capacités. Sans oublier la multitude de récitatifs accompagnés qui sont certainement les plus beaux que Mozart a écrits. Et tout cela en gardant une fraîcheur de timbre et une souplesse d’émission propres au personnage d’Idamante. Il est clair que l’écriture tendue de ce rôle peut faire appel à certaines couleurs que l’on retrouve dans les personnages chantés par des hautes-contre.

Avez-vous eu des interprètes de références dans votre étude de ce rôle ?

Non car je pense qu’essayer de reproduire le passé, ou même le présent d’autrui, c’est se priver de son propre pouvoir de création. Le risque avec les interprètes d’un autre temps c’est qu’ils répondaient à une esthétique ancienne qui n’est plus d’actualité. Aujourd’hui il nous appartient, si nous voulons élargir notre public, d’agir autrement. On a toujours de grands bénéfices à « interroger » les traditions. Vous voyez ce que je veux dire…

Cyrille Dubois

Selon l’évolution de votre voix, seriez-vous un jour tenté de chanter Idomeno ?

De toute façon je suis passionné par la musique de Mozart. Elle nous propose tant de lectures possibles que l’on ne s’ennuie jamais en l’interprétant. Mozart est mon univers et j’aimerais pouvoir encore découvrir tout ce qu’il a à m’offrir et je suis loin d’avoir tout exploré. Alors oui, pourquoi pas, plus tard, affronter Idomeneo, Mitridate ou Titus. Mais je ne veux pas aller trop vite dans ce sens car cela me ferait emprunter un chemin sans retour.

Pour l’heure quels sont vos projets après Toulouse ?  

La suite de la présente saison va être centrée, en ce qui me concerne, sur la commémoration, au travers d’une tournée internationale, des cent ans de la disparition de Gabriel Fauré. Montréal, Venise, Marseille, Londres et bien d’autres villes vont nous accueillir avec un programme qui lui est entièrement consacré. Je suis accompagné pour cette occasion par le pianiste Tristan Raës. Je vais également participer à une production scénique d’Armide de Lully à l’Opéra-comique. Ce sera la fin de ma saison. Je serais toujours Salle Favart pour la reprise du Domino noir d’Auber au début de la saison 24/25. Puis je pars à Vienne pour Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi. Au milieu de tout cela, des récitals très variés car j’essaie de visiter toutes sortes de genres. J’avoue être très curieux.  Je ne veux pas être un spécialiste de tel ou tel compositeur. La fréquentation de plusieurs siècles de musique m’enrichit énormément et me permet d’évoluer, à mon sens, de la meilleure des manières dans mon métier. Je travaille également avec des amis sur un projet autour de Kurt Weill et George Gershwin…

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 22 février 2024

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