Entretiens | Opéra

« Depuis un an, j’ai une nouvelle voix » Jean Teitgen

Jean Teitgen - Photo: Harcourt

Quoi de plus naturel pour un Normand comme Jean Teitgen que de tenir la barre d’un vaisseau. Celui qui vit à Rouen avec sa famille aurait dû devenir un économiste ! Fort heureusement pour l’opéra, une petite mélodie trottait dans sa tête et, ses brillantes études terminées, à 23 ans, il se tourne vers la musique et plus particulièrement le chant. Quatre années de conservatoire après, Jean Teitgen entame une carrière lyrique. L’Opéra de Paris et le Théâtre des Champs Elysées vont devenir ses aires de jeu. Les scènes internationales vont faire aussi appel à cette basse au timbre profond chantant en français, italien, russe et allemand un répertoire couvrant quatre siècles de créations lyriques. Christophe Ghristi lui ouvre les portes du Capitole avec Le Vaisseau fantôme wagnérien.

Rencontre

Classictoulouse : Mis à part votre participation à la représentation du Cadmus et Hermione de Lully avec l’Académie d’Ambronay sous la direction de Christophe Rousset en 2001, le public toulousain n’a pas eu le bonheur de vous entendre, alors que vous faites par ailleurs une carrière internationale. Christophe Ghristi vous fait revenir. Quelle a été votre réaction à cette invitation ?

Jean Teitgen : Christophe Ghristi est venu m’entendre à Paris alors que je chantais Grémine dans Eugène Onéguine. Je peux vous dire que je suis très content de faire mes vrais débuts au Théâtre du Capitole avec ce Vaisseau fantôme. C’est une maison qui fait rêver tous les artistes, vous le savez bien. Ma carrière, ces derniers temps, s’est déroulée entre l’Opéra Bastille et le Théâtre des Champs Elysées. Et puis, en toute confidence, travailler avec un directeur qui fait lui-même ses castings, aujourd’hui c’est rarissime ! Christophe Ghristi est impliqué artistiquement dans sa maison. C’est un vrai bonheur et cela rappelle l’ancien temps dans ce qu’il avait de magique.

Dans quel répertoire vous produisez-vous aujourd’hui ?

Pour l’heure, et c’est certainement normal, je chante beaucoup le répertoire français. Mon souhait est d’aborder davantage les opéras italiens et… Wagner. Les lignes de ma carrière semblent bouger pas mal, d’autant que je viens d’intégrer une grande agence artistique internationale. Pour tout vous dire, en fait, souffrant d’asthme, je prenais jusqu’à il y a peu, un médicament qui influait sur ma voix.  Les progrès étant ce qu’ils sont, aujourd’hui mon nouveau traitement ne touche absolument plus ni mon ambitus, ni mon timbre. Cela me permet d’envisager d’autres horizons. En clair, depuis un an, j’ai une nouvelle voix. Et des rôles que je refusais avant, à présent je les accepte.

Jean Teitgen (Capellio) dans I Capuleti e i Montecchi – Mise en scène Robert Carsen – Opéra national de Paris – Photo: Emilie Brouchon

Vous avez déjà abordé Wagner avec Fasolt dans L’Or du Rhin puis avec Henri L’Oiseleur dans Lohengrin.  Les ouvrages de Richard Wagner nécessitent-t-ils une vocalité particulière ?

Absolument ! Ce sont des rôles très larges qui réclament des ambitus très étendus. Vous citiez Heinrich dans Lohengrin, la partition nous demande un nombre incroyable de mi bécarre aigus dans le premier air et ensuite nous fait descendre jusqu’à un fa dièse grave dans l’air suivant. Les premières phrases de Daland sont vraiment dans le dur côté puissance puis la ligne devient plus cantabile si j’ose dire. Il faut donc impérativement chauffer sa voix en loge avant d’entrer en scène. Si l’on n’y prête pas attention, les rôles wagnériens sont dangereux pour le chanteur.

Parlez-nous à présent de Daland, le père de Senta et l’un des trois personnages principaux du Vaisseau fantôme, un personnage souvent caricaturé.

Daland est un homme qui a été riche. Aujourd’hui il est quasiment ruiné. Et puis, autre temps, autres mœurs, les mariages de raison étaient courants et lorsque le Hollandais lui propose un véritable trésor en échange de sa fille, il accepte de suite sans hésiter. Ce qui aujourd’hui nous paraît hors de propos bien sûr. Ce n‘est un homme ni ridicule, ni violent, il aime indubitablement sa fille et ne l’oblige pas à prendre le Hollandais comme époux. N’oublions quand même pas que le Hollandais en question fait pareil en offrant ses richesses à Daland en échange de sa fille.

Jean Teitgen (Grémine) dans Eugène Onéguine – Mise en scène Stéphane Braunschweig – Théâtre des Champs Elysées – Photo : Vincent Pontet

Votre regard sur la production mise en scène par Michel Fau

Michel Fau aime raconter une histoire dans de beaux décors, de belles lumières et de beaux costumes. Et d’après vous, qu’attend le public ? De plus, son discours est parfaitement compréhensible, même par ceux qui vont découvrir l’œuvre. Et il y en aura forcément et heureusement. Quand Christophe Ghristi nous a amené dans l’atelier pour voir les décors, nous avons tous pris une claque monumentale. Je pense que le public ne s’attend pas du tout à ce qu’il va voir. Et c’est merveilleux car un tel décor nous aide aussi à raconter notre histoire.

Daland est–il un rôle difficile à chanter ?

Il demande de l’endurance et donc de la gestion d’énergie. Il faut à mon avis éviter de le chanter en pleine puissance en permanence, d’abord parce que ce n’est pas écrit comme cela, ensuite parce que ce serait contre intuitif. Il faut oser les nuances. Je dois souligner que le travail en amont est très agréable car nous avons un chef extrêmement bienveillant. Frank Beermann nous donne aussi de précieux conseils concernant la langue allemande. Tout cela est très rassurant face à un tel ouvrage.

Envisagez-vous de prochaines prises de rôle ?

Pour les deux/trois ans à venir, mon calendrier est occupé par des reprises.

Seriez-vous tenté par des rôles comme Gurnemanz ou le Roi Marke ?

Le Roi Marke, oui, certainement. Gurnemanz me fait, aujourd’hui, un peu peur. C’est un rôle absolument énorme qui réclame un travail colossal d’apprentissage. Il faut être humble face à un rôle pareil.

Quel rôle particulier rêvez-vous que l’on vous propose et que vous n’avez encore jamais chanté ?

Sans hésiter Philippe II du Don Carlo verdien.

Quels sont vos projets après le Capitole ?

Je chante un rare Requiem de Donizetti à la cathédrale Saint Denis puis je pars à Vienne pour Arkel et au Real de Madrid pour Frère Laurent.  Voilà dans l’immédiat. Après ce sera 2026.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 8 mai 2025

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