Entretiens | Opéra

Cyrille Dubois, le Chœur majuscule du Viol de Lucrèce

Cyrille Dubois

Aussi impensable que cela soit, le ténor Cyrille Dubois, salué par le Prix du Syndicat de la Critique comme Révélation musicale à 30 ans en 2014, n’avait encore jamais chanté au Capitole !  Ce Normand, diplômé d’halieutique de l’ENSA de Rennes, écume, en plus de ses études, tous les conservatoires régionaux (Caen, Rennes) avant d’intégrer celui de Paris. Aujourd’hui, avec un répertoire allant du 17e au 21e siècle, conjuguant sacré et profane, opéra et mélodie, ce collaborateur du Centre de Musique Baroque de Versailles et du Palazzetto Bru Zane, vient mettre son éblouissant talent au service de Benjamin Britten, un compositeur cher à son cœur.

Rencontre

Classictoulouse : Parlez-nous d’abord de cette merveilleuse soirée à laquelle vous avez grandement participé en l’Auditorium Saint-Pierre- Des-Cuisines autour des Canticles de Benjamin Britten. Que représente pour vous cette suite d’opus ?

Cyrille Dubois : La musique de Britten nous traverse littéralement. Vous me parlez de ce « cycle » des Canticles. Je trouve qu’il est passionnant à plus d’un titre. Tout d’abord, comme vous le soulignez, il a été composé sur une période de 27 ans, la période la plus créatrice et intéressante de ce musicien. En développant ce corpus on pénètre dans l’évolution du langage musical de ce compositeur. Il est également émouvant de naviguer dans l’histoire personnelle de Benjamin Britten car ces Canticles, c’est un peu toute la relation passionnée du musicien avec son compagnon, le ténor Peter Pears, figure centrale et omniprésente de ces pièces, qui se dévoile.  Baptisées en France Cantiques, elles soulignent toute la spiritualité qui finalement habite l’œuvre de Britten.

Anne Le Bozec et Cyrille Dubois à Saint-Pierre-Des-Cuisines le 24 avril 2023 – Canticles – Photo: Classictoulouse

Votre répertoire est vaste, mais voici que l’on va vous retrouver à nouveau dans un ouvrage de Benjamin Britten, Le Viol de Lucrèce, dans l’un des rôles majeurs, celui du Chœur masculin. Peu de chanteurs français s’aventurent sur ce répertoire. Pourquoi vous précisément ?

C’est certainement lié à la maîtrise de la langue anglaise. On pense tous parler plus ou moins anglais, mais le déclamer est une autre affaire. Très jeune j’ai eu ce lien avec la culture britannique car j’ai été formé à la Maîtrise de Caen qui était alors dirigée par un Anglais, Robert Weddle. Très tôt il nous a fait aborder le répertoire de Benjamin Britten qui, comme vous le savez, a beaucoup écrit pour les voix d’enfants. De plus j’ai chanté, alors que j’avais 12 ans, le rôle de Miles dans Le Tour d’écrou, ce qui m’a profondément marqué vous vous en doutez. Le fait aussi d’avoir suivi une partie de mes études en Angleterre a créé une forte porosité chez moi avec cette langue et cette culture.

Le rôle du Chœur masculin est loin d’être celui dévolu aux grands masses chorales transalpines. Quelle est sa fonction ?

Il est arrivé dans l’histoire du théâtre que la narration soit portée par un seul personnage qui commentait ou qui faisait allusion à un événement divin ou bien encore qui explicitait la psychologie de certains personnages. Mais ce procédé est peu fréquent dans l’opéra. Pour tout dire je n’ai pas d’autres exemples à vous citer. Ici cela permet de manière géniale de mettre l’action en perspective. Quelle audace ! Britten transforme ce Chœur masculin tour à tour en spectateur, instigateur, commentateur. C’est clairement un rôle qui fait creuser le concept même d’interprétation et qui surtout éloigne le standard du ténor amoureux du soprano.

Quelles sont les difficultés du chant anglais et plus particulièrement des partitions de Benjamin Britten pour votre tessiture alors qu’il vous demande une dynamique allant du quadruple piano au double forte ?

Musicalement, le Chœur masculin est diabolique ! J’ai travaillé et chanté ce rôle antérieurement mais c’était au Conservatoire, il y a 12 ans, donc je l’actualise aujourd’hui. A Toulouse nous avons la chance d’avoir pour cet opéra un chef de chant anglophone, Miles Clery Fox, qui est particulièrement précieux.  J’essaie de donner autant de poids à la prosodie anglaise que celui que je donne au français quand je chante dans ma langue maternelle. Il faut être extrêmement à l’écoute de ce qui se joue à l’orchestre afin de trouver la couleur qui convient à chaque situation. Il est indispensable d’avoir une connaissance très précise de la partition afin d’en épouser tous les contrastes. Pour en revenir à l’ambitus du dynamisme que vous évoquez dans votre question, effectivement, les nuances requises par le compositeur vont nous chercher au plus profond de notre travail de chanteur, particulièrement au niveau du souffle et de la couleur. Mais c’est passionnant.

Cyrille Dubois

C’est précisément le Chœur masculin qui fait basculer en toute fin de l’ouvrage cette histoire vers une résolution christique. Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?  

Nous en parlions au sujet des Canticles. Je pense que la spiritualité a toujours été présente chez Britten. A l’image du troisième cantique, nous nous trouvons face à une réflexion musicale sur les gouffres d’horreur dans lesquels l’humanité peut se plonger. Nous avons affaire ne l’oublions pas à un compositeur pacifiste. Il avait une forme de religiosité qui fait que, même dans ses ouvrages les plus sombres, le salut vient de Dieu, c’est pour cela que je fais allusion au cantique 3.

De facto vous vous retrouvez en quelque sorte dans l’héritage de Peter Pears. Seriez-vous tenté, dans l’avenir, par d’autres rôles écrits par Benjamin Britten pour ce ténor ?

Oui, certainement comme Peter Quint dans Le Tour d’écrou, ou encore Vere dans Billy Budd. Dans les mélodies il y a aussi les Seven Sonnets of Michelangelo. 2023 est la date anniversaire de la naissance de Britten, il y a 110ans…

Vous avez été pensionnaire de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Qu’en avez-vous appris ?

J’y ai terminé ma formation. Le concours d’entrée est très sélectif mais j’ai eu la chance de l’intégrer pendant deux ans et clairement cela m’a mis le pied à l’étrier. Il m’a permis d’aborder des rôles très différents et surtout de chanter sur scène avec des collègues plus aguerris, de grands chefs d’orchestre. Et à la clé mes premiers engagements à l’Opéra de Paris.

La saison prochaine vous revenez dans Idomeneo, pour le rôle d’Idamante.

Pour moi ce sera une prise de rôle. Peut-être un jour je chanterais Idomeneo et pourquoi pas Titus. Je n’en suis pas là.

Mozart vous accompagne depuis toujours. Pourquoi est-il si nécessaire aux chanteurs ?

Mozart fait du bien. Il nous ramène sur les fondamentaux de ligne vocale, de beau chant. C’est la même chose avec le bel canto, tout cela assainit une voix, précise une technique que l’on a parfois tendance à perdre dans des écritures plus déclamatives.

Nous sommes tous les enfants de quelqu’un. Vocalement vous vous situez dans quelle lignée ?

Je me souhaite dans la lignée des ténors français qui ne sont pas attirés par ce tropisme d’italianité qu’on a eu en modèle pendant des années, des modèles exceptionnels bien sûr comme Pavarotti ou Domingo par exemple. Ce que je recherche c’est une forme d’élégance qui n’est pas dans la démonstration. Pour moi c’est cela l’héritage de la grande tradition française. Deux exemples majeurs, les francophones Léopold Simoneau et Alain Vanzo. D’autres bien sûr… Des chanteurs qui travaillaient l’intelligibilité du texte, les couleurs. C’est une particularité précieuse de notre école. Et en plus nous avons un répertoire fabuleux. J’essaie de m’inscrire dans cette tradition et de la faire vivre aujourd’hui.

Vers quelles prises de rôle vous souhaiteriez être appelé ?

Continuer à explorer Mozart, c’est évident, puis le répertoire de l’opéra-comique français qui exige du ténor la vaillance et la grâce. Mais avant de nous quitter je souhaite vous dire mon bonheur que l’on mette aujourd’hui Benjamin Britten à l’honneur parmi le grand répertoire des théâtres lyriques français. Vous dire aussi combien je suis heureux d’être souvent invité également comme interprète de mélodies françaises, un répertoire qui me tient particulièrement à cœur. Quand je chante de l’opéra, je le fais toujours en pensant à ma proposition musicale en tant que mélodiste.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 2 mai 2023

Crédit photo : Philippe Delval

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