Entretiens | Opéra

Christophe Ghristi a attendu le moment idéal de ma maturité vocale pour me confier ce rôle

Adèle Charvet - Crédit : Marco Borggreve

Les reprises de La Cenerentola de Gioacchino Rossini, avec deux distributions pleines de promesses, et sous la direction d’un expert en la matière, le maestro Michele Spotti, sont assurément l’un des points forts (mais y en a-t-il de faibles ?) de la saison 23/24 de l’Opéra national du Capitole de Toulouse. Elles nous permettent, entre autres bonheurs, de découvrir la première Angelina du mezzo français Adèle Charvet, qui nous revient après une Rosina d’anthologie in loco il y a deux ans.

Rencontre.

Nous nous sommes rencontrés en mai 2022 lors de votre passage à Toulouse pour Le Barbier de Séville de Rossini. Un Barbier un peu spécial car vous étiez sur scène à une poignée de semaines de devenir maman pour la première fois…

En effet, j’étais enceinte de presque 7 mois. C’est un souvenir très joyeux car cette maison d’opéra est vraiment formidable. Tout le monde faisait attention à moi plus particulièrement étant donnée la situation. Mais cela ne nous a pas empêché de faire un travail très sérieux tout de même. Les chanteurs le savent bien, au Capitole nous sommes en sécurité dans un lieu baigné de bienveillance artistique. De plus, autant que je me souvienne, mon « état » m’a donné beaucoup d’énergie.

Comment s’est passée la reprise de vos activités lyriques ?

J’avais très envie de reprendre rapidement. Je l’ai fait au bout de cinq semaines environ avec un répertoire très fluide et doux pour ma voix. Cela m’a permis peu à peu de reconstruire mon instrument en même temps que mon corps en termes de souffle, d’appui, etc.  J’ai repris avec La Damoiselle élue de Claude Debussy à la Philharmonie de Berlin. Puis j’ai fait une série de Mercédès dans la Carmen de Bizet à l’Opéra Bastille, un rôle que j’ai déjà chanté et dont mon corps à la mémoire.

Angelina, que vous chantez pour la première fois, est une personnalité beaucoup plus complexe et moins d’une pièce que Rosina. Quel portrait en tracez-vous ?

D’abord vous dire que j’en rêvais car c’est une personnalité, et vous avez raison, beaucoup plus complexe et donc plus intéressante que Rosina. C’est un caractère mélancolique et résilient. Rossini lui a donc écrit des moments de grande virtuosité certes, avec vocalises, mais également des instants d’un lyrisme extraordinaire. Angelina ne subit pas l’action en marche, d’un certain point de vue elle la contrôle. Et pour clore le livret, elle accorde son pardon à sa famille sans que cela ne soit de la faiblesse ni d’une quelconque niaiserie.  Un personnage d’une grande valeur.

Adèle Charvet – Crédit : Marco Borggreve

Angelina appartient-elle à la même vocalité et au même style que Rosina, Rossini ayant classé Cenerentola en dramma giocoso ?

C’est très vrai, un opéra entre sérieux et bouffonnerie. Et d’ailleurs dans la vocalité d’Angelina cela se répercute. A ce titre je souhaite saluer l’intelligence de Christophe Ghristi qui a attendu le moment idéal de ma maturité vocale pour me confier ce rôle, un rôle incontestablement plus difficile à chanter que celui de Rosina. Vocalement l’écriture est très centrale tout en réclamant une grande extension dans l’aigu. De plus le rôle est long et se termine par une immense scène finale réclamant beaucoup d’énergie. Il convient d’y penser…Cette scène est un moment de grande jubilation universelle au point que le compositeur s’en est déjà servi pour la grande aria finale de son Almaviva dans Le Barbier de Séville. Et nous avons la chance d’avoir au Capitole pour cette Cenerentola un immense chef d’orchestre, Michele Spotti, qui permet aux chanteurs de s’exprimer musicalement et vocalement en toute liberté. C’est un peu la définition même de la jubilation

Cette partition contient des ensembles qui paraissent déments à mettre en place. Sont-ils plus difficiles que les arias ?

Ces ensembles sont dangereux si nous les prenons à la légère. Notamment parce qu’ils font souvent appel au chant syllabique demandant une grande souplesse d’émission et une vélocité diabolique dans le débit. Ces ensembles sont très exigeants et doivent être travaillés autant que les arias. Mais je dois dire que les deux distributions de ce spectacle forment deux véritables « troupes » à l’intérieur desquelles les connections sont parfaites, chacun écoutant l’autre. Ajoutez à cela une mise en scène millimétrée et vous avez les ingrédients d’un vrai challenge.

Adèle Charvet – Crédit : Capucine de Chocqueuse

Quelles sont vos prises de rôle à venir?

Aujourd’hui je sens et j’entends que ma voix me permet d’envisager des rôles plus lyriques. Je chanterai le plus longtemps possible mon répertoire actuel certes, mais dès l’année prochaine j’ai accepté ma première Carmen. Ce sera dans un théâtre à la dimension de ma voix pour ce rôle, celui de Versailles. Je n’aurais pas accepté dans un salle plus grande. Je vais également aborder l’Ariodante de Haendel et, dans ma tête, se profile déjà la Charlotte de Werther. Je suis très à l’écoute de ma voix et quoiqu’il en soit ces changements de répertoire je les ferai dans des maisons et avec des chefs d’orchestre à même de me soutenir car ces personnages sont de vrais défis et il faut toujours être prudent avec eux.

Et après Toulouse ?

J’ai toute une série de concerts en France, au Royaume Uni à Newcastle et à Londres, puis en Allemagne à Berlin, ensuite ce sera le Portugal, le Danemark, etc.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 15 mars 2024

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