Entretiens | Opéra

« Autant je rêvais à Kundry, autant Isolde me paraissait d’un autre monde »

Sophie Koch - Photo: Vincent Pontet

Peu de cantatrices peuvent se vanter de chanter Isolde puis Octavian du Rosenkavalier à quelques semaines d’intervalle. C’est pourtant ce que va faire Sophie Koch en ce printemps 2023. Installant petit à petit et depuis plusieurs années à présent son répertoire dans celui de Falcon, Sophie Koch aborde aujourd’hui à l’Opéra national du Capitole l’un des rôles les plus redoutables et redoutés de tout le répertoire lyrique.

Rencontre

Classictoulouse : Sophie Koch, lorsqu’à la fin des représentations de Parsifal, où vous chantiez Kundry, Christophe Ghristi vous a proposé Isolde, quelle a été votre réaction ?

Sophie Koch : J’ai été surprise car je suis quelqu’un d’extrêmement prudent. Et puis nous n’en avions jamais parlé auparavant. Cela dit j’avais accepté déjà ma première Sieglinde à Marseille. Mais voilà, le Capitole est une maison bienveillante pour notre métier et Christophe Ghristi connaît parfaitement les chanteurs, tout comme Franck Beermann d’ailleurs. Donc j’étais sûre qu’il n’y aurait pas de problème. Après il faut oser faire le grand saut.

Vous qui avez été sur notre scène Cherubin et Octavian, entre autres rôles, imaginiez-vous qu’un jour vous seriez Isolde au Capitole ?

Non, certainement pas. Autant je rêvais à Kundry, autant Isolde me paraissait d’un autre monde.

Où en est votre répertoire wagnérien ?

Mise à part Ortrud, j’aurais abordé tous les rôles wagnériens de ma tessiture. A mon rythme certes mais je tiens aussi à préserver ma voix. Et si tout se passe bien pour Isolde, pourquoi ne pas imaginer Brünnhilde. Mais je n’en suis pas encore là !

Stéphane Degout (Wozzeck) et Sophie Koch (Marie) lors de la reprise de Wozzeck à l’Opéra national du Capitole en 2021 – Mise en scène : Michel Fau – Photo : Mirco Magliocca

Quels sont les bonheurs mais aussi les difficultés de ce rôle ?

Premièrement l’endurance et de suite après tout le temps qui se passe entre la fin du deuxième acte et la Mort d’Isolde. Entre-acte inclus nous sommes à plus d’une heure. Pour un chanteur en cours de représentation, c’est indispensable de bien gérer ce temps de latence, en continuant de chanter dans sa loge par exemple. C’est la même chose pour Venus dans Tannhäuser. De plus, les dernières phrases de la Mort d’Isolde sont très difficiles car non seulement très orchestrées mais elles demandent une énergie folle pour tenir des phrasés très longs. Isolde en fait réclame une gestion constante de son énergie. Si l’on se lance sans contrôle dans le premier acte, je pense qu’il doit être délicat de terminer l’ouvrage. Cela ne doit pas se voir de la salle, mais plus les moments sont intenses et dramatiques plus il faut surtout penser à son souffle et à se détendre. Après ce n’est que du bonheur.

Comment vous êtes-vous préparée à ce challenge ?

Avec une chef de chant, française d’ailleurs, qui est une amie de longue date. Elle travaille à Vienne, Zurich et Munich depuis longtemps et a fait travailler Waltraud Meier pour ce rôle. Elle est venue m’épauler pour l’apprentissage de ce rôle.

Sophie Koch (Kundry) et Nikolaï Schukoff (Parsifal) lors des reprises de Parsifal à l’Opéra national du Capitole en 2020 – Mise en scène : Aurélien Bory – Photo: Mirco Magliocca

Est-ce qu’une interprète passée ou présente vous inspire particulièrement ?

Oui certainement, je viens de la citer, c’est Waltraud Meier. Je me relie à son identité vocale car elle n’a jamais été un « pur » soprano. Elle a chanté Wagner pendant plus de trente ans, mais toujours d’une manière lyrique, sans forcer. Il faut faire confiance à la richesse des harmoniques de sa voix, des harmoniques capables de « passer » l’orchestre. Il ne faut surtout pas lutter contre la musique et produire un son surpuissant, c’est suicidaire. Il faut faire confiance aussi au chef d’orchestre et je dois dire que retrouver Franck Beermann pour cette prise de rôle a été pour moi un argument majeur dans ma décision d’aborder ici Isolde. Sans citer d’autres chefs, que j’admire par ailleurs, je ne me serais pas exposée dans ce rôle avec eux.

Que représente cet opéra pour vous ?

C’est l’opéra des symboles. Ces personnages ne sont pas des personnages, ce sont des mythes. C’est cela qui est intéressant. On est très bien accompagnés sur scène par Emilie Delbée, qui vient de la danse et du théâtre. La mise en scène de Nicolas Joel vise à l’épure. Je ne suis pas du tout d’accord avec ces visions de l’œuvre qui ramènent l’action à un quotidien forcément trivial au vu de la musique. Ces personnages sont bien plus grands que nous mais il faut tenter de les incarner. En toute humilité dans une espèce d’immobilité suggestive. Sans spoiler, je peux vous dire que le deuxième acte est quasiment chorégraphié de notre part.… De plus, si je peux ajouter, retrouver Nikolaï Schukoff, avec lequel je suis, à 4 jours près, la jumelle, c’est un vrai bonheur. Nous avons fait ensemble Walkyrie à Marseille et j’espère que nous ferons tous les deux bien d’autres spectacles.

Vos projets dans l’immédiat ?

Après Toulouse je pars à Dresde pour une série de Rosenkavalier, toujours le rôle d’Octavian. Cet été je suis invitée par le festival de Munich pour la création in loco de l’Hamlet de Brett Dean dans lequel je chante Gertrude. C’est un rôle somptueux avec des scènes très fortes, pour le moins…

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 14 février 2023

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