Disques

Voyage sensible autour de l’Espagne

Avec ce nouvel album conçu comme une évocation subtile de l’Espagne, le violoniste Augustin Hadelich entraîne chaque auditeur dans un monde riche d’émotion et d’intensité expressive. Une telle association de grandes œuvres de compositeurs a priori éloignés les uns des autres construit un cheminement inattendu, mais finalement d’une richesse et d’une logique troublantes.

Né en 1984 à Cecina, en Italie, de parents allemands, Augustin Hadelich a finalement acquis la nationalité américaine. A l’âge de cinq ans, il débute ses études de violon avec son père, agriculteur et violoncelliste amateur. Enfant prodige, il connait une carrière florissante en tant que violoniste, pianiste et compositeur, en particulier en Allemagne. En 1999, Augustin Hadelich est grièvement brûlé dans l’incendie de la ferme familiale, et doit être soigné en Allemagne. L’accident le laisse incapable de jouer pendant plus d’un an. Après sa guérison, il est diplômé summa cum laude de l’Instituto Mascagni de Livourne, et auditionne avec succès pour être admis à la Juilliard School. Il reçoit de prestigieuses récompenses internationales qui lui permettent de démarrer une belle carrière.

Son répertoire s’avère particulièrement large, abordant aussi bien les grands concertos pour violon que les productions musicales contemporaines. Avec ce nouvel album intitulé Recuerdos (Souvenir) Augustin Hadelich fait œuvre de « concepteur ». Le cœur de ce programme associe deux grandes partitions du XXème siècle : le Concerto n° 2 op. 63 de Sergei Prokofiev et l’unique Concerto op. 15 de Benjamin Britten. Ce couplage inhabituel prend toute sa signification lorsqu’on se souvient que l’œuvre de Prokofiev a été partiellement écrite en Espagne et créée à Madrid quelques mois avant le déclenchement de la guerre civile. De son côté, le pacifiste convaincu Benjamin Britten a écrit son concerto précisément en réaction à cette horrible guerre.

Admirablement soutenu par le WDR Sinfonieorchester, dirigé par le chef roumain Cristian Măcelaru, Augustin Hadelich établit grâce à son interprétation des liens profonds entre ces deux concertos. Il souligne ainsi le caractère expressionniste, mais aussi le lyrisme chaleureux de l’écriture de Prokofiev. L’intervention des castagnettes dans le premier mouvement vient rappeler le thème général de l’album. En particulier, l’Andante assai génère une émotion née de l’extrême sensibilité du jeu du soliste.

Le Concerto de Britten possède une force expressive à laquelle il est difficile de résister. Les deux mouvements extrêmes, profondément méditatifs, encadrent une section centrale à la fois animée et angoissée. La cadence qui sert de transition avec le final révèle tout son poids de douleur sous les doigts du soliste véritablement habité. L’inquiétude mêlée d’espoir caractérise la section finale. La musique se fond dans un silence douloureux qui serre la gorge.

Ces deux partitions sont encadrées, à la manière de guillemets, par deux œuvres emblématiques de l’Espagne. Du grand violoniste espagnol Pablo de Sarasate, la Fantaisie sur des thèmes de Carmen de Georges Bizet ne se contente pas de distiller un brio coloré. Augustin Hadelich en révèle la sensibilité et l’intensité expressive. Le programme se referme sur la pièce Recuerdo de la Alhambra, originalement écrite pour guitare, de Francesco Tárrega, jouée ici dans sa transcription pour violon solo de Ruggiero Ricci. Augustin Hadelich en souligne avec art l’aspect méditatif.

En conclusion, voici un récital qui s’écoute comme une seule œuvre de caractère, particulièrement originale, à la fois intense et lumineuse.

Recuerdos – Album Warner Classics
Réf. 0190296310768
Enr. 2021
Prix : 16,99 €

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