Ravel, Debussy, Fauré, ces trois compositeurs presque contemporains incarnent les caractères les plus spécifiques de la musique française. Les voici réunis dans une anthologie remarquablement composée qui rend hommage à une grande artiste, et ceci à travers leur musique de piano. Anne Queffélec mène une carrière médiatiquement discrète, mais musicalement admirable. Grâce à la renaissance du label Erato, ce coffret de 3 CDs réunit des enregistrements dont une grande partie n’avait jamais été rééditée sous forme numérique.
Cette trilogie pianistique vient à point rappeler la vivacité du jeu d’une grande dame du clavier née dans une famille intimement liée à la littérature. Anne est en effet la fille du romancier Henri Queffélec et la sœur de l’écrivain Yann Queffélec. Comme elle le rappelle avec esprit dans la plaquette de ce coffret, son entrée chez l’éditeur discographie au logo vert date de ses vingt ans. Rendant hommage aux grands noms de la maison, Michel Garcin, responsable artistique d’Erato, mais aussi la grande pianiste Catherine Collard qui produisit certains de ses enregistrements, elle évoque ces années heureuses.
Sa devise figure d’ailleurs en bonne place dans le questionnaire de Proust que lui a proposé la revue Diapason : « Tu veux être heureux ? Sois-le ! » (René Char).
Ce bonheur se retrouve dans les interprétations qui figurent dans cette anthologie. Chaque CD est consacré à l’un de ces compositeurs qu’elle a servis avec panache tout au long de sa carrière. Maurice Ravel est présent par ses deux concertos, gravés avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dirigé par Alain Lombard : l’esprit plein d’ironie du concerto en sol et le drame menaçant du concerto pour la main gauche se retrouvent avivés. Les cinq Miroirs, qui complètent ce premier CD, brossent un portrait impressionniste mais coloré et sans flou excessif de la musique pour piano seul du compositeur. Le CD consacré à Claude Debussy réunit les deux livres de Préludes et la plus rare Fantaisie pour piano et orchestre, avec l’Orchestre National de Monte-Carlo et Armin Jordan. Comme chez Ravel, la structure des Préludes reste claire et transparente à la fois : la poésie, toujours présente, n’efface ni l’esprit, ni l’humour qui épicent ces pièces sublimes. Quant à la Fantaisie, longtemps mal aimée des debussystes, les interprètes en réhabilitent le lyrisme et les charmes fin de siècle.
Enfin, Fauré brille ici avec ses deux Sonates pour violon et piano. Le traitement si particulier de l’harmonie et des modulations trouve deux interprètes plein d’élan, de spontanéité et de poésie lumineuse. Anne Queffélec est associée à Pierre Amoyal dont on retrouve avec bonheur la luminosité de la sonorité et la générosité du jeu.
Une très belle rétrospective Erato dont on espère qu’elle en précède d’autres de la même eau.