Disques

Un véritable monument

Evoquer Guillaume tell en France provoque toujours quelques sourires entendus. L’œuvre est classée comme terriblement datée, faisant aussi référence à des ténors qui n’ont pas toujours été des parangons d’élégance. Le présent enregistrement, pris sur le vif à Rome en 2010 lors d’une exécution de l’œuvre en concert, apporte à ces assertions un violent démenti.
En fait, nous sommes ici en présence d’une œuvre majeure dans l’Histoire de l’Opéra et dans son évolution. Berlioz et Wagner, qui n’étaient pas des moindres dans le domaine, l’ont rapidement reconnue. Ce Guillaume Tell porte en germes, autant musicaux que dramatiques, ce dont entre autres Verdi se nourrira. Alors, bien sûr, une œuvre originale de près de 5 h (ballets inclus) est-elle viable ? Non. D’ailleurs, très rapidement, l’ouvrage passera au timing plus raisonnable de 3 h 40’. C’est la durée des trois CDs qui composent le présent coffret. Si nous pouvons légitimement regretter l’absence, entre autre, du trio du 4ème acte entre Mathilde, Jemmy et Hedwige, trio qui, à lui seul, justifie la distribution de cette dernière à un mezzo, saluons au passage, en ces temps difficiles pour l’industrie du disque, le courage d’EMI de publier pareil coffret.

Les forces en présence sont de très haut niveau. L’orchestre et le chœur de l’Académie Sainte-Cécile de Rome connaissent leur Rossini sur le bout des doigts et le maestro du moment, Antonio Pappano, sait conserver à cette partition fleuve la masse d’intentions que le compositeur y a déposées. Depuis la malice des numéros dansés (irrésistible Pas des Soldats) jusqu’à la splendeur formidablement émouvante d’un final aux frontières du panthéisme le plus exalté, tout le génie de ce compositeur est là, brillant, évident comme jamais.

La distribution, infernale à réunir, ne comprend que peu de francophones. Et cela s’entend… Marie-Nicole Lemieux est superlative dans le rôle malheureusement largement amputé ici d’Hedwige, de même que Frédéric Caton dont le personnage de Melcthal subit le même sort. Gérard Finley est, quant à lui, un Guillaume de haute stature, impressionnant par un phrasé superbe et une noblesse de ton de tous les instants. Elena Xanthoudakis campe un Jemmy volontaire et bien chantant, Malin Byström affronte avec courage le rôle redoutable de Mathilde dont la vocalité se souvient des grands emplois préromantiques tout en flirtant avec ce que deviendra le soprano verdien tout en s’attachant à la rigueur du soprano français qu’illustreront Meyerbeer et Halévy. Beau challenge ! La suite de la distribution est relativement moyenne. Et puis, il y a Arnold. Que n’a-t-on écrit sur ce rôle ! Créé par Adolphe Nourrit (1802-1839), ténor français qui épinglera au tableau de ses créations : Le Conte Ory, Robert Le Diable, Les Huguenots, La Juive (Eléazar), etc., Arnold va subir les assauts de son successeur, un autre ténor français, Gilbert Duprez (1806-1896) qui, lors d’une reprise de Guillaume Tell, va émettre pour la première fois dans l’Histoire du chant un contre-ut de poitrine, en lieu et place d’une émission en mixte appuyé, comme cela était de coutume. Immense succès. Le mal est fait et continue ses ravages, proposant des interprètes de ce très beau rôle recherchant dans le décibel et l’atteinte des multiples suraigus de cette partition, une once de notoriété. Entre parenthèse, Gilbert Duprez interrompit sa carrière, par détérioration du matériau vocal, à 43 ans… C’est un vrai plaisir que d’entendre ici dans ce rôle le ténor américain John Osborn. Voix homogène, quinte aiguë redoutable de précision et de facilité (il ajoute même des aigus !), même si son français est moyen parfois, reconnaissons que sa musicalité emporte l’adhésion. Alternant une émission qui s’apparente certainement à celle d’un Nourrit avec  parfois des notes sur la tierce supérieure beaucoup plus « actuelles », il trace finalement un portrait d’une belle intensité musicale.

Nous tenons là certainement l’enregistrement moderne de référence de cet ouvrage dans son idiome d’origine, le français.

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