Chopin est à la fête. Rarement anniversaire aura été fêté avec autant de fastes. Le grand pianiste brésilien Nelson Freire apporte ici sa pierre à l’édifice avec une intégrale des Nocturnes qui devrait faire date. Certes Chopin n’est pas l’inventeur du genre « Nocturne ». L’Irlandais John Field, dès le début du 19ème siècle, l’a précédé dans cette voie. Mais aucun autre compositeur n’a marqué cette forme musicale d’une telle force, d’une telle poésie, d’une telle personnalité.
La série des vingt opus enregistrée par Nelson Freire constitue une sorte de mosaïque, de puzzle, qui brosse le portrait d’un compositeur beaucoup plus pudique que certaines interprétations ne l’ont dépeint. Si l’atmosphère générale de ces pièces évoque la confidence, la variété des expressions qui les imprègne reste unique. Le projet musical de Nelson Freire réussit le tour de force d’en caractériser chaque élément comme un petit drame individuel sans jamais casser la structure des liens ténus, invisibles, qui relient chaque pièce au corpus de l’ensemble.
Son toucher explore une incroyable palette expressive. Sans lourdeur aucune, il n’en possède pas moins un poids qui lui permet d’aller au plus sensible des mystères d’une musique de la nostalgie. Paradoxalement, la liberté, la souplesse qui caractérisent le jeu du pianiste s’exercent toujours dans une certaine rigueur générale. Les élans du cœur restent maîtrisés. Les transitions sont particulièrement soignées. Ainsi on passe du jeu intense des tonalités de l’opus 9 n° 2 à la fluidité liquide de l’opus 9 n° 3. La rondeur des sonorités, des timbres et des couleurs n’a d’égal que la profondeur du message sans parole que nous livre le compositeur à travers son interprète inspiré mais toujours lucide. Nelson Freire illustre mieux que quiconque le célèbre aphorisme de Proust qui admirait «… les phrases, au long col sinueux et démesuré, de Chopin, si libres, si flexibles… » Plus que du grand piano, de la sublime musique.