Disques

Quatuor d’aujourd’hui

Initialement baptisé Kairos, le jeune Quatuor Sendrez a été fondé en 2009, l’année même de la création du « Quatuor pour cordes » composé précisément par… Michel Sendrez. Quatre musiciennes pleines de curiosité, d’imagination et d’audace se sont ainsi réunies pour faire vivre un répertoire riche et dense, mais terriblement exigeant. Les violonistes Marina Beheretche et Laura Prieu, l’altiste Aude Fade et la violoncelliste Maitane Sebastián ont en outre choisi de s’attacher à la production musicale d’aujourd’hui.
Depuis Joseph Haydn, le quatuor à cordes n’a jamais cessé d’inspirer les compositeurs. Les créateurs contemporains poursuivent avec passion la quête des Mozart, Beethoven, Schubert, Bartók, Chostakovitch, Dutilleux… Récompensé par le prix Bonnat de l’Académie Internationale Maurice Ravel, ce déjà grand quatuor consacre cet album CD à quatre partitions composées entre 2004 et 2010 par d’authentiques musiciens, aussi originaux que libres. Il s’agit ici de premiers enregistrements mondiaux.

Michel Sendrez, longtemps pianiste de l’Orchestre National de France et compositeur de musique de ballet, de film, d’opéra et de musique de chambre est l’auteur du premier quatuor gravé ici et suggéré par un voyage dans la forêt amazonienne. Il n’y pratique en rien l’imitation directe, à l’image d’un Olivier Messiaen ornithologue, mais sa musique est délibérément « Inspirée par les chants d’oiseaux de la forêt tropicale » Emergent du silence, le violoncelle introduit tout un monde sonore bruissant et animé, dans lequel se succèdent et parfois s’opposent des plages oniriques et foisonnantes, avec quelques touches inspirées de Bartók.

 

Nicolas Bacri a écrit sa Partita Concertante pour flûte et quatuor à cordes en réponse à une commande de la fondation de LL.AA.RR. la Reine Margrethe et le Prince Henrik du Danemark. Chacun des cinq mouvements qui composent cette œuvre forte possède sa propre spécificité. Un très lyrique unisson ouvre le volet initial. Il témoigne du retour du musicien vers une « sorte » de tonalité, après ses explorations premières de l’atonalité. L’intégration de la flûte dans le lacis des cordes prend toutes les formes possibles.

Jusqu’à une émouvante cadence dans la Sarabande, notée Adagio espressivo. Saluons le jeu admirable de Sandrine Tilly, l’excellente flûtiste solo de l’Orchestre national du Capitole, qui confère une richesse de couleurs à toute la partition. Les moments d’angoisse, de méditation, d’agitation se succèdent dans le déploiement d’une large palette expressive.

Le quatuor à cordes n° 2 de Florent Gauthier est intitulé Loops (Boucles). Son auteur, installé à Marseille depuis 1995, mène une double carrière de pédagogue et de compositeur. Son éclectisme lui a permis de côtoyer aussi bien Pierre Boulez que le chanteur Renaud ! Sa partition, dédiée au Quatuor Sendrez, date de 2010. Ce deuxième court quatuor est construit autour d’un motif récurrent composé d’un accord violemment rythmé. Le halètement qu’il produit ne s’interrompt que rarement, comme si le mouvement qu’il suggère entretenait une indispensable survie. D’étranges glissandi viennent un instant adoucir cette obsession qui se poursuit néanmoins jusqu’au silence.

C’est à Thierry Huillet que l’on doit le quatrième volet de cette parution. Le pianiste et compositeur toulousain, bien connu et apprécié dans le Ville rose, manifeste une liberté de création qui caractérise son originalité. Voyageur infatigable, il a tissé des liens forts avec tout l’Extrême-Orient. Le Japon lui inspire la série de ses Haïkus et la Chine, notamment, ce séduisant quatuor intitulé Yuan Fen, mot chinois qualifiant le lien qui unit deux personnes ou une personne et un lieu. Thierry Huillet parvient à combiner ici les timbres et les couleurs de manière étonnante. Les modes orientaux pratiqués évoquent irrésistiblement un instrumentarium chinois. Les atmosphères se succèdent avec poésie et finesse. Chaque mouvement illustre un site particulier. L’auditeur visite successivement Beijing figée sous la neige, Shanghai et son agitation, Zhujiaojiao, petite cité proche de Shanghai comme immobilisée par les pizzicati des cordes, et enfin Yiheyuan qui héberge le Palais d’Eté impérial et se replonge dans la lumière de l’hiver. Le langage, toujours accessible et évocateur, traduit avec finesse la poésie de ce voyage rêvé.

Les membres du Quatuor Sendrez s’investissent avec passion et talent dans ce panorama chaleureux aux multiples aspects de la musique de chambre d’aujourd’hui. Un grand merci doit leur être adressé pour cette importante parution !

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