Disques

Porté par une baguette magique

Cet enregistrement de l’Enlèvement au Sérail de Mozart est une réussite d’ensemble au plus haut niveau. Néanmoins, il est totalement évident qu’il se hisse sur les premières marches d’un podium, particulièrement prisé et disputé, grâce à Yannick Nézet-Seguin. Ce Québécois qui vient de fêter ses 40 ans est en passe de devenir l’un des plus grands chefs de sa génération, à l’égal d’un Philippe Jordan, ce qui n’est pas rien, vous en conviendrez ! Cet enregistrement est le corollaire studio d’une série de représentations de cette œuvre au Festival 2014 de Baden Baden, avec bien sûr la même distribution et l’épatant Chamber Orchestra of Europe.

Dès l’ouverture de ce singspiel d’un jeune Mozart souhaitant donner ses lettres de noblesse à l’opéra allemand, on est saisi par le foisonnement de rythmes, de couleurs, de timbres, de lumière, de vie. C’est totalement jubilatoire ! Attentifs aux différents climats qui traversent cet opéra moins anodin qu’il n’y paraît, particulièrement en termes de messages maçonniques, Yannick Nézet-Séguin accompagne à merveille les moments de pure comédie comme ceux, plus nostalgiques et émouvants, qui sont l’apanage du couple noble : Constance et Belmonte. Tous ces allers retours résultant d’une alchimie dramaturgique dont Mozart possède déjà les codes les plus subtils, le chef les transcende avec une habileté époustouflante. Une immense réussite.

Côté vocal, paradoxalement, les meilleures impressions ne nous viennent pas nécessairement des deux stars de la distribution.

En effet, comment ne pas applaudir à la performance éblouissante de l’Osmin de Franz-Josef Selig ? Voici le successeur de l’immense Martti Talvela dans ce rôle. Il en a le creux abyssal mais aussi la virtuosité dans les vocalises et la ligne de chant. Sans parler de l’intelligence du rôle. Superbe et certainement unique en ce moment sur la planète lyrique. C’est avec un bonheur sans mélange que nous retrouvons Anna Prohaska et Paul Schweinester, tous deux étaient de la distribution de cet opéra au Palais Garnier en novembre 2014.

De la première, Blonde pétulante autant que pétillante, nous retenons un timbre étincelant, une voix homogène au suraigu sans faille, et Dieu sait s’il est hautement sollicité. Le second interprète un Pedrillo parfait de couleurs, de style, d’intentions. Un modèle. Demeurent les deux « nobles ». Bien sûr Rolando Villazón est ici dans son bac à sable. A Baden Baden il peut à peu près tout faire. Il est l’idole du public, un peu comme Roberto Alagna l’était aux Chorégies d’Orange. Le voici aux prises avec Belmonte, son style d’une rigueur extrême et ses vocalises. Le Mexicain a-t-il vraiment la souplesse et la virtuosité que nécessite cette partition ? Certes il ne triche pas et la respecte scrupuleusement. Mais sa projection typiquement romantique peut-elle sans dommage se fondre dans ces mélismes ? Il n’y a rien de moins sûr, d’autant que les aigus semblent un rien tirés. Depuis quelques années, les héros mozartiens s’invitent régulièrement dans son planning, prenant la place des lyrico-dramatiques plus exposés auxquels vraisemblablement ce ténor aspirait. Bref. A ses côtés, Diana Damrau est une Constance sans problèmes d’ambitus, même si elle néglige quelque peu l’extrême grave afin de conserver cette agilité et cette sûreté presque surhumaines que réclame ce rôle dans l’extrémité du registre aigu. Tout cela est beau et parfaitement maîtrisé. Mais où est Constance, cette jeune femme qui préfigure, n’en doutons pas une seconde, Pamina dans son implication psychologique et sa puissance dramatique ? C’est un peu le revers de ce talent vocal exceptionnel. Dommage certes, mais pas rédhibitoire pour cet enregistrement, d’autant que les Constance ne sont pas légion de nos jours. Thomas Quasthoff dans le rôle parlé de Selim ajoute au prestige de cette réalisation.

Partager