Les célébrations du centenaire de la première guerre mondiale revêtent les aspects les plus divers. Voici ce que cette confrontation tragique a inspiré dans le domaine à la fois littéraire et musical. Deux femmes, deux artistes volontaires ont uni leurs talents pour élaborer un véritable oratorio pour orchestre, voix solistes, chœur et récitant évoquant l’aspect le plus dramatique de cette « boucherie » humaine. 1918, l’Homme qui titubait dans la guerre évoque l’insupportable épisode de la guerre de tranchées, l’horreur presque animale imposée aux hommes.
L’œuvre musicale d’Isabelle Aboulker est composée sur un livret imaginé par Arielle Augry. Cette femme de lettre volontaire a réuni ici un ensemble de textes des acteurs mêmes de cette guerre. La dramaturgie met en situation un soldat français lors du tout dernier assaut survenu dans les tranchées le jour même de la déclaration de l’Armistice, le 11 novembre 1918. A la fois victime et acteur de la guerre, ce soldat imaginaire incarne les voix des dix millions de morts et des millions de participants de toutes nationalités.
C’est à travers des textes de Louis-Ferdinand Céline, Blaise Cendrars, Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau, Erich Maria Remarque, François Bernouard, Benjamin Péret, Henri Bataille, Romain Rolland que s’exprime ainsi le soldat. Un chœur d’enfant (le Chœur Capriccio dirigé par Marie-France Messager), qui chante en français, en allemand et en anglais, incarne les voix de la multitude, soldats et civils des « arrières ». Un récitant, le comédien Thierry Gaches, est le porte-parole du soldat, sa conscience, mais aussi celui de la propagande officielle. Le baryton Yann Toussaint se met au service de tous les rôles individuels, alors que la soprano Albena Dimitrova est notamment l’épouse du soldat, Lou, prénom choisi en hommage à Apollinaire. L’orchestre d’harmonie de la Musique de la Police Nationale, dirigé par Jérôme Hilaire, qui est également l’auteur de la transcription, soutient le déroulement de ce touchant plaidoyer.
Isabelle Aboulker, compositrice de tendance néo-tonale, a conçu pour ce drame une musique simple et dramatiquement efficace qui n’est pas sans évoquer celle de Francis Poulenc (pour ses Dialogues des Carmélites) ou celle de Kurt Weill (on pense à Mahagonny). La démarche philosophique, politique même, reste proche de celle d’un Benjamin Britten, le pacifiste, lorsqu’il composa son fameux Requiem de Guerre.
La célébration de la première des conflagrations mondiales méritait cet émouvant plaidoyer pour la paix qui a déjà été présenté en public et le sera encore au cours de cette année.