Disques

Lili Kraus, la légende

Née à Budapest en 1903, disparue en 1986 dans une ferme des Appalaches américaines, la grande Lili Kraus a vécu l’existence d’une héroïne de roman. Elle n’en a pas moins imprégné le XXème siècle de son génie du piano. Tout simplement de son génie musical. La somme des 31 CDs que nous propose Warner Erato brosse le portrait musical d’une artiste passionnée et sensible qui occupe le parnasse des plus grands pianistes de l’Histoire aux côtés de quelques autres rares légendes.
Immuablement vêtue « à la dernière mode habsbourgeoise » de ses robes longues à jabots de dentelle qu’elle créait elle-même, Lili Kraus a traversé le siècle et ses tragédies sans jamais se départir de sa bonne humeur. Elle et sa famille connurent pourtant la terrible épreuve de la captivité en Indonésie lors de l’attaque japonaise de la deuxième guerre mondiale. Parcourant le monde, elle avait une claire conscience, à l’instar d’un Beethoven, de la mission artistique qui était la sienne. Son répertoire, bien défini, privilégie l’œuvre de Mozart. Mozart qui est donc le compositeur le plus présent dans ce coffret d’hommage. Et comment ne pas s’en réjouir ?

Admirablement réédités, ces enregistrements couvrent la période 1933-1958. D’une part, 23 CDs reprennent les gravures microsillon éditées initialement chez Ducretet-Thomson et Les Discophiles Français, alors que, d’autre part, 18 CDs sont issus des 78 tours de Parlophone. La pureté de son toucher, sa recherche perpétuelle du juste style s’accompagnent d’une passion, d’une ferveur qu’elle place au service des compositeurs et de leurs œuvres, sans chercher à briller par sa technique, par ailleurs parfaite. Sous ses doigts, Mozart est autant lumière que douleur, bonheur que souffrance.

Son intégrale des sonates en 6 CDs, enregistrée en 1954, représente un sommet indépassable. D’autant plus qu’elle bénéficie de la qualité sonore due à un ingénieur du son légendaire de cette époque, André Charlin. La musique de chambre du compositeur est aussi à l’honneur. Pour l’essentiel des sonates violon-piano, Lili Kraus est associée au très viennois Willy Boskovsky dans la réédition des microsillons et au mythique Szymon Goldberg dans celle des 78 tours. L’intégrale des trios réunit, autour de la pianiste, Willi Boskovsky et le violoncelliste Nikolaus Hübner. Tout cela respire la vie frémissante et le bonheur.

Seulement trois concertos de Mozart figurent dans cet album, les n° 9, 18 et 20, le 9ème étant même présent deux fois, avec deux accompagnements différents. Quelques pièces isolées comme l’étrange Adagio et Rondo pour glass harmonica (notamment avec le flûtiste Jean-Pierre Rampal), ou l’Adagio pour piano KV 540 complètent sa contribution irremplaçable au legs mozartien.

Outre Mozart, Lili Kraus a subtilement contribué à la diffusion de l’œuvre de Schubert, notamment avec un irrésistible Divertissement à la hongroise et les trois adorables sonatines pour violon et piano. Quatre sonates de Haydn (seulement, pourrait-on regretter !) figurent également dans cette rétrospective. Beethoven n’est pas oublié avec une brillante intégrale des sonates violon-piano, encore avec son complice Willi Boskovsky, et quelques-unes des plus célèbres sonates pour piano, en particulier une bouleversante « Waldstein ». Quelques pièces isolées de Brahms, Chopin et Bartók complètent cette somme de petits et de grands bonheurs.

Voici donc une image sonore indispensable de la grâce pianistique et surtout mozartienne que l’on peut offrir ou s’offrir sans retenue.

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